Alors qu’Halloween fait ses adieux à l’année 2017, Noel nous montre le bout de son nez. Il en est fini des déguisements au maquillage dégoulinant, faisons place aux chapeaux rouge et blanc et aux sucreries. Les aficionados de l’horreur et de l’épouvante endeuillés, découvriront avec joie un article sur le tard d’un festival pas comme les autres : le festival de l’étrange.
Il est l’événement ciné de la rentrée, il annonce les futurs maîtres du cinéma de genre tout en proposant des films sortant des carcans habituels. Le festival de l’étrange a lieu au forum des images, vieux de 22 éditions, l’événement a vécu cette année sa 23ème édition qui a su exprimer un programme hétéroclite sans délaisser les amoureux des genres obscurs du cinéma. Malgré les influences et invités que reçoit le forum des images, l’étrange reste un lieu discret médiatiquement, sans pour autant laisser ses salles vides.
Votre serviteur est donc allé s’aventurer vers des contrées bizarres et extravagantes. Deux jours, six films, voici la chronique d’un festival pas comme les autres.
L’étrange festival a su accueillir des réalisateurs comme Guillermo Del Toro, à l’aube du succès qu’on lui connait aujourd’hui. L’idée de voir des films qu’on n’irait, ou ne pourrait pas visionner autrement laisse un doux sentiment d’excitation. Sortir de ses sentiers battus, tel était le programme désiré. Sortir de sa zone de confort, et voir des films qui ne trouveront, probablement, pas de distributeur : voici l’enjeu de ce festival, diffuser un maximum et marquer les esprits.
En quelques lignes l’étrange festival c’est : une compétition internationale, un focus sur le cinéma de genre catalan et un autre sur De la Iglesia, une carte blanche de Caro et Jeunet et de Jaume Balaguero, des compétitions de courts, sans compter les projections spéciales. La majorité des films sont des avant-premières, une raison de plus de partir à la découverte de tout un pan du cinéma.
Jour 1 :
A mon arrivé pour la première séance de 14h, une longue queue obstruait l’entrée du forum des images, il était surprenant de voir cette influence aussi tôt dans la journée mais cela devait juste témoigner d’un bouche à oreille performant. Mon premier film pour ce festival a été…
Ugly de Juri Rechinsky
« Hanna, une Autrichienne, est immobilisée dans un lit d’hôpital à la suite d’un accident de voiture. À ses côtés, son conjoint Jura, un Ukrainien dévoré de culpabilité : il conduisait lorsque survint l’accident. »
Dans la catégorie des nouveaux talents, Rechinsky s’est fait remarquer grâce au documentaire SICKFUCKPEOPLE et décide de présenter un nouveau film : Ugly. Avec son documentaire le réalisateur se concentre sur un cinéma sur l’humain diminué. Ugly est un film sur le misérabilisme. Il veut explorer la nature de l’homme, à son plus bas niveau. Les intentions du réalisateur sont bonnes, avec quelques scènes marquantes, mais le film manque d’authenticité, aucun style n’en ressort. Ugly choisit la carte de la contemplation, et dispose d’un dialogue léger. Ce qui est certain, c’est qu’Ugly ne se veut pas film grand public. Les gros plans, souvent fixes et sans parole peuvent brusquer et énerver le spectateur. La salle a également, au fur et à mesure, décrocher du film. Un drame qui manque de contour, peut mieux faire.
La deuxième séance a été un bol d’air frais, un voyage qui offre une mise en scène stratosphérique.
La lune de Jupiter de Kornél Mundruczó
Le film aura le droit à un article plus détaillé à une date ultérieure, étant donné que sa sortie est programmée courant novembre.
« Un jeune migrant se fait tirer dessus alors qu’il traverse illégalement la frontière. Sous le coup de sa blessure, Aryan découvre qu’il a maintenant le pouvoir de léviter. Jeté dans un camp de réfugiés, il s’en échappe avec l’aide du Dr Stern, qui nourrit le projet d’exploiter son extraordinaire secret. Les deux hommes prennent la fuite en quête d’argent et de sécurité, poursuivis par le directeur du camp. Fasciné par l’incroyable don d’Aryan, Stern décide de tout miser sur un monde où les miracles se monnayent. »
En compétition au festival de Cannes 2017, et grand prix de l’étrange festival La lune de Jupiter a été le coup de cœur du l’évènement. Prodigieux, esthétique et politique, avec de tels ingrédients la recette aurait pu être explosif et instable, mais contrairement à ce que l’on pouvait imaginer La lune de Jupiter est une aventure, un ballet Stratosphérique. Le film nous happe, nous aspire vers une expérience visuelle et humaine. De rares images d’une beauté à en couper le souffle. Un périple mystique où la richesse des problématiques abordés donne au long métrage le statut grand film.
Pour finir une journée bien chargée, le choix d’un film à l’allure déjantée et moins sérieux m’a semblé être une bonne idée.
Attack of the Adult Babies de Dominic Brunt
« Dans un manoir isolé, des sexagénaires se réunissent le temps d’un séjour pour assouvir leur curieux fantasme régressif : être dorlotés et traités comme des nourrissons par une armada de nurses spécialement entraînées pour l’occasion. Mais voilà que débarquent des cambrioleurs… »
Vous ne vous trompez pas sur le titre, c’est un grand n’importe quoi. Ce qui est génial, c’est que pour les séances en soirée, il y a systématiquement un membre de l’équipe du film qui vient présenter le film. Quand le réalisateur vient présenter son film, une intimité se crée entre le public et la personne. Quelque chose d’enrichissant en ressort automatiquement. Et oui, même avec Attack of the adult Babies qui a été présenté par la productrice et actrice du film Kate Coogan. Elle présente le film comme « disproportionné » tout en assumant un sous-texte caustique sur la société et la politique anglaise. Pour la petite anecdote, elle explique que le décor était le second choix de la série Downton Abbey.
Nous avons à faire à un film totalement déjanté, démarrant sous la forme d’un sketch la comédie horrifique ne laissera pas en reste les amateurs d’hémoglobine. Le film assume un humour britannique efficace et what-the-fuck et c’est tant mieux. Continuellement dans l’excès, le film s’amuse des codes propres aux films d’horreurs et n’hésite pas à être ridicule. Les acteurs assument avec brio leur rôle, ainsi que la parodie de leurs personnages.
Jour 2 :
Dans la famille du genre, j’appelle le cinéma Gore communément appelé chez les anglais le « splatter » movie, leur devise : Rien suggérer, tout montrer. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais pour le bien de ma culture cinématographique j’ai décidé d’aller voir :
Kodoku : Meatball Machine de Yoshihiro Nishimura
Et vous allez me dire : « Un film gore Japonais ? Tu y vas fort quand même… » Mais pourquoi pas ? Surtout qu’il existe des sous genre au film gore, le « comique, parodique » et le « sérieux ». En ce qui concerne le film gore comique, Peter Jackson s’y est essayé avec le méconnu BrainDead.
« Anonyme quidam tokyoïte, Yuji se découvre un cancer qui ne lui laisse que quelques semaines à vivre. Or, quand la ville est recouverte d’un immense dôme de verre extra-terrestre, Yuji n’écoute que son courage et part combattre les nécrobrogs, ces monstres venus de l’espace. »
Film déconne par excellence, le réalisateur et ancien maquilleur Nishimura n’a pas lésiné sur l’humour potache et l’hémoglobine. Une invasion extraterrestre, la jeune fille à sauver, un loser comme personnage principal, le film a tous les ingrédients d’un Shonen basique, mais plus que ça, le film ne s’embête pas à installer une logique. L’humour n’a pas de limite et se permet des situations limites mais dans le cadre du film, toujours très drôle. Parfois Power-rangers de mauvais genre, Under The Dome version WTF. Cependant à part un gros délire ensanglanté, le film ne propose pas grand-chose.
Bitch de Marianna Palka
Avec pour l’instant un prix du jury au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, Marianna Palka fait une entrée remarquée pour son film où le grotesque est roi. Réalisatrice et actrice principale du film, elle prouve à son producteur Elijah Wood, qu’elle tenait un sujet en béton.
« Jill n’est pas ce qu’on peut appeler une femme épanouie. Son mari la délaisse, ne pense qu’à son travail et la trompe sans le moindre scrupule, tandis que ses quatre enfants s’éloignent de plus en plus. Brusquement, elle commence à se comporter comme un chien. »
Encore plus d’actualité ces derniers jours, le film montre une détresse sociale de la femme/mère/épouse souvent cantonnée et oubliée dans un schéma familial vieillissant mais toujours présent. Evidemment, il est inutile de s’attarder à un sujet polémique et parlons du film. Bill le mari, est brillamment interprété par Jason Ritter, il joue à la perfection l’arrogant et prétentieux. Le film souffre, par moment, de longueurs. On peut sentir cette volonté de gagner du rythme en essayant de remplir le film de comique de situation, mais en voulant en faire trop, le film perd en dénonciation. Le ton de l’absurde est un moyen qui se rarifie dans les films, ainsi Marianna Palka nous rappelle faire aboyer un personnage pendant 1h30, n’est pas forcément voué à être ridicule. La réalisatrice dénonce, surprend et amuse elle est absolument à suivre.
Pour achever ce voyage dans l’étrange, votre serviteur est allé voir un Polar, pas très bizarre ni étrange mais qui ferait pâlir Wonder Woman.
Cold Hell de Stefan Ruzowitzky
Un Polar Germano-Autrichien, où le réalisateur est venu en personne présenter le film. S’étant illustré avec des documentaires et des quelques longs-métrages, il représente le cinéma l’Autrichien grâce à son oscar pour Les Faussaires dans le prix du meilleur film en langue étrangère. Pendant la présentation du film, le réalisateur a appuyé sur le talent de son actrice principale (Violetta Schurawlow) : « C’est son premier rôle où elle devait apprendre à se battre, beaucoup de mérite du film lui revient. »
« Özge, une jeune femme d’origine turque, est chauffeur de taxi le jour ; le soir, elle suit des cours et pratique la boxe thaïe. Elle n’est guère bavarde et elle s’entraîne sans relâche. Un jour, elle est témoin d’un meurtre sauvage. Le principal suspect, un tueur en série qui se réclame de l’islam, est convaincu qu’Özge l’a vu et qu’elle pourrait le reconnaître. Entre Özge et lui s’engage alors une lutte sans merci, où le tueur est prêt à tout pour la retrouver. »
Avec une identité visuelle, Cold Hell donne au polar un cachet différent grâce à ses couleurs et à sa lumière. Conscient des enjeux contemporains, le réalisateur nous présente des personnages qui sort du stéréotype du polar. Dans l’Autriche actuel, voir comme personnage principal une immigrée turque qui sait rendre les coups surprend agréablement. L’interprétation nous fait doucement penser à Uma Thurman dans le Kill Bill de Tarantino, efficace qui nous donne envie d’en voir plus. Ruzowitsky aime jouer avec les codes, et cela se ressent. Quand le tueur est à la poursuite d’Özge, il est cocasse de voir les règles du jeu s’inverser, avec Özge qui poursuit le tueur avec l’intention de lui mettre une rouste. Des personnages secondaires qui amènent un peu de légèreté au film, des courses poursuites savamment orchestrées, le film est une douceur qui dénonce, quelque chose de vrai et d’actuel.
Après un voyage court et intense, l’étrange Festival s’est trouvé être un lieu secret et imprévisible. Inédit avec ses premières mondiales, internationales, Européenne et française, où le genre sévit avec une liberté étourdissante.
Le prix du nouveau genre a été décerné à La lune de Jupiter de Kornél Mundruczó, et le prix du public au film Les bonnes manières de Juliana Rojas & Marco Dutra.