Deux ans après le génial (et déjà sous-estimé) La grande bellezza, Paolo Sorrentino revient avec Youth (La giovinezza), film éminemment ambitieux qui fut sélectionné et pourtant étrillé lors du dernier Festival de Cannes. Pourquoi tant d’acharnement de la part d’une partie de la critique ? C’est simple : Paolo Sorrentino est génial et il le sait. Critique.
Laisser filer le temps
Youth repose sur une histoire plutôt simple et, néanmoins, ambitieuse : Paolo Sorrentino installe ses caméras pendant quasiment tout le film dans un hôtel de luxe suisse où célébrités et riches oisifs passent le plus clair de leur temps à se faire masser et à déambuler dans des jardins somptueux. On constate assez rapidement que le titre du film est bien choisi. Car la jeunesse, ici, n’est pas une évidence, comme dans les films de Larry Clark par exemple, mais une quête aussi désespérée que la justice sociale dans les décors magnifiques des Alpes suisses.
Bref, vous l’aurez compris, après Il Divo et La grande bellezza, on croisera, une fois encore, plus volontiers des personnes âgées dans le dernier film de Paolo Sorrentino. Par contre, cette fois-ci, le réalisateur ne se défile pas et prend à bras le corps le sujet de la vieillesse avec un angle relativement intéressant, puisqu’il choisit, non pas de nous apitoyer ou de porter un regard voyeuriste sur la vieillesse – au contraire du très surestimé Michael Haneke dans le pathos-éthique (concept déposé 😉 ) Amour – mais de nous faire rire au côté de ses personnages. Ici, l’idée est plus d’aimer ces personnages, que de suivre leur lent déclin. Aussi, Sorrentino choisit de suivre 2 amis d’enfances assez exceptionnels, Fred et Mick, l’un est compositeur et chef d’orchestre à la retraite (Michael Caine), l’autre est un réalisateur de films (Harvey Keitel). Tous deux sont visiblement talentueux, célèbres et respectés dans leur domaine.
Depuis une vingtaine d’année, Fred et Mick se retrouvent chaque année dans cet hôtel des Alpes suisses pour passer leurs vacances. Dans l’hôtel, ils croisent également un acteur célèbre, Jimmy Tree (Paul Dano), se métamorphosant radicalement pour un rôle, un moine boudhiste, et un Maradona fatigué par le temps.
Fred est accompagné de sa fille (Rachel Weisz) qui est également son assistante particulière. Il reçoit une proposition, qui risque de le forcer à sortir de sa retraite… Mick, quant à lui, est un toujours en activité et tente de réaliser le film qui lui tiendra lieu de testament. Il cherche la fin de ce film en compagnie de ses 5 scénaristes.
Le film est dédié à Francesco Rosi.

Attendre la fin ou continuer ?
Alors que dans son chef-d’oeuvre La grande bellezza, on suivait de vieux mondains incapables de faire autre chose que de jouir en attendant l’inéluctable, Youth pose sans fard la question qui semble tarauder l’auteur depuis ses débuts : en tant qu’esthète, vaut-il mieux attendre en regardant le monde s’écrouler autour de nous, où continuer à lutter pour préserver la beauté de ce monde ? Cette question semble hanter toute l’oeuvre de Paolo Sorrentino et se trouve illustrée à merveille (un peu trop ?) par la présence de ces deux personnages, si proches, mais si éloignés dans ce qui les lie à leur art : l’un veut coûte que coûte continuer à créer, tandis que l’autre n’aspire plus à grand chose.
Ainsi, ce qui intéresse Paolo Sorrentino est moins le lent déclin des corps, que ce qu’il advient d’une oeuvre dépassée, recalée par le temps qui passe.
Par contre, même si on admire habituellement les talents formelles de Paolo Sorrentino, il faut reconnaître quelques énormes fautes de goûts à mettre au crédit des pourfendeurs du petit génie napolitain : sa propension à en faire des tonnes dans le domaine du décorum et des plans surchargés – qui ne nous dérange pas en général – est ici parfois maladroitement appuyée par quelques kitscheries un peu grotesques. À cela, il faut malheureusement également ajouter au débit de ce film une volonté, quelque peu surprenante de sa part, d’enrober son propos en l’appuyant par des dialogues parfois un peu trop explicatifs et souvent superflus. À croire que l’auteur n’a voulu perdre personne en cours de route et s’est cru obligé de souligner plutôt que de captiver – comme il le fait habituellement.
Ces quelques réserves ne font pas pour autant de ce film un navet, comme on peut le lire à longueurs de critiques. Après le rejet de Dheepan par une partie de la critique et la quasi unanimité de la critique contre Youth, il serait temps pour celle-ci de se remettre en question. La critique, depuis André Bazin, François Truffaut (même avant bien sûr), en passant par Serge Daney, repose sur des vertus et une volonté de transcender ce que l’on nomme par abus de langage « le bon » et « le beau ». L’analyse critique d’un film ne devrait jamais se focaliser sur un jugement esthétique, au sens d’une critique de ce qui nous paraîtrait beau ou non. Le kitsch, le grotesque, le superflu ne sont pas des critères suffisants pour analyser et comprendre une oeuvre. Un exemple ? Voici un extrait de la critique de Libé, offrant un aperçu des manquements graves d’une partie de la critique française, semblant plus attirée par les clics et le buzz, incapable de produire une analyse des enjeux esthétiques d’un film (au sens d’un régime de perception d’un discours artistique cf. Jacques Rancière, par exemple, pour les plus courageux) en dehors de jugements hâtifs sur ses soit-disants effets de manche (peut-on sérieusement croire qu’un effet de manche soit un critère discriminant sur la qualité d’une oeuvre ?) : « Entre Resnais pour les nuls et Fellini-quattro formaggi, tambouillant d’un œil pétillant son magma entropique d’images surléchées pour pub de parfum et ses effets de manches (souvent étonamment approximatifs) de visionnaire en surchauffe, Sorrentino trahit à sa façon un certain état du cinéma d’auteur international frappé de boursouflure. »
Pour ces critiques, je vais leur mâcher le travail (je sais c’est présomptueux, mais ne le sont-ils pas ?): Paolo Sorrentino parvient une nouvelle fois à décrire avec passion la déliquescence d’un monde qui le passionne, celui d’un groupe d’artistes incapables de vivre dans leur temps. Non pas qu’ils soient nostalgiques, bien au contraire, car il n’ont, tout simplement, jamais réussi à vivre parmi leurs semblables, désarmés en dehors – ou à côté – de leur art.