Note de la rédaction :
Nous avons fait le choix de publier en l’état cette critique qui a été écrite sans évoquer les accusations faites à l’encontre de Woody Allen. Si les éléments futurs venaient à confirmer ce que l’on soupçonne très fortement, nous ne publierons plus de critiques de films de Woody Allen.
Woody Allen n’en finit plus de nous surprendre. Son dernier film est peut-être le meilleur de ce début 2018 et rappelle qu’il faut compter sur lui, entre vieilles recettes et renouveau.
Vittorio Storaro est-il un magicien ? Non, il est simplement un célèbre chef opérateur italien mais il semblerait qu’il ait le pouvoir de dépoussiérer le cinéma très codifié de Woody Allen, voire de lui apporter une nouvelle jeunesse. Storaro si vous ne connaissez pas c’est une pointure du genre, une référence incontournable qui a éclairé Apocalypse Now, Le dernier tango à Paris ou encore L’oiseau au plumage de cristal, le premier film aux couleurs splendides de Dario Argento. Il a donc travaillé avec les plus grands et a souvent imposé sa griffe visuelle, sur certains classiques des années 1970 en particulier. Storaro, 3 oscars pour son œuvre, est capable de s’éclipser modestement au service d’un film ou de le vampiriser totalement par ses couleurs saturées.
C’est ce qu’il avait fait en 1982 lors de sa seconde collaboration avec Coppola sur One from the heart (Coup de coeur) où ses couleurs explosaient aux visages des spectateurs dans chaque plan. C’est possiblement ce film qui a inspiré Allen pour l’identité visuelle de ce Wonder Wheel. Mais l’influence de Storaro semble s’étendre à un domaine plus large. Après leur travail en commun sur le plutôt réussi Café Society, on sent que Storaro apporte avec lui un langage et une discipline. Donc ses images complètent parfaitement les qualités de Woody Allen de metteur en scène (en gros la chorégraphie des corps dans l’appartement étroit de Coney Island est de Allen, l’ombre qui passe sur le visage de Justin Timberlake quand il ment est de Storaro, ces deux langages se complimentent) mais de plus, l’italien sert en quelque sorte de garde-fou à un réalisateur qui a pour habitude de se perdre en route, pour un bon mot, une jolie actrice, une blague qui tient sur un ticket de métro (le réalisateur aveugle de Hollywood Ending est une jolie idée qui ne méritait peut-être pas un film…).
Donc voilà Woody, 82 ans, bien cadré, qui ressert ses boulons et ses ficelles narratives, pour nous offrir un scénario plus nerveux aux airs de grandes tragédies façon Match Point. Comme l’explique Justin Timberlake au début du film, on pense pouvoir contrôler les choses, mais le hasard et le destin jouent finalement un rôle bien plus important que l’on ne veut bien l’admettre dans nos vies. Donc Kate Winslet puisqu’il s’agit surtout d’elle, et de leur histoire contrariée, est amenée à vivre des choses plus grandes qu’elle, et à se retrouver écraser par ces forces supérieures contre lesquelles on ne peut rien (sinon reproduire les mêmes erreurs). Il y a une maturité et un savoir faire immense dans « Wonder Wheel », pas du génie hein, terme bien galvaudé, mais une compétence, bien solide, que l’on ne peut qu’admirer.
On trouve ici et là une scène en trop, des maladresses dans le coeur du film (la partie du milieu est la moins puissante, il y a une légère dépressurisation) mais il y a une chose qu’on ne peut reprocher à Allen, c’est de faire de la télévision. Je vois McDonagh pavaner aux Globes avec ses prix et je repense à Three Billboards qui a par ailleurs quelques qualités et on peut dire que, oui, finalement, c’est de la bonne télé. Allen, lui, fait du cinéma, il ose un plan fixe de plusieurs minutes sur Kate Winslet qui raconte une anecdote touchante, pas de contre-champ attendu, il étire sa séquence, il a encore de ces gestes beaux et presque anachroniques aujourd’hui. De lents travellings léchés viennent nous dire la promiscuité de l’appartement ou la solitude de Kate Winslet. Les couleurs jouent sur les émotions, le rouge de la passion ou de la colère, le bleu de la peur, de la jalousie. Le cadre de Coney Island et son parc d’attraction est une bénédiction. Les manèges et les néons offrent autant de prétexte à toutes les audaces visuelles imaginables. Il y a aussi une dernière élégance, quand un personnage vient à sortir du film sans explication, presque évaporé, le temps d’un plan séquence qui dit tout, sans appuyer (et on imagine comment Mac Donagh nous aurait jouer la scène musclée qui suivrait et qu’Allen nous épargne).
Voilà, l’efficacité retrouvée, Allen la doit peut-être à Vittorio Storaro. Il se dit aussi qu’il lui reste forcément peu de films, et il s’éparpille moins. Alors oui, les thèmes sont immédiatement identifiables, oui on est en terrain connu, chez Woody Allen, avec moi de mots d’auteurs que d’habitude mais quelques facilités (il y a une partie d’échecs qui est en trop, à mon sens) mais « Wonder Wheel » est un étonnant témoignage de la vitalité de ce réalisateur plus tout jeune. La preuve ? Il a déjà tourné un film de plus (à sortir en 2019 probablement), qui se passe à New York, à nouveau, un jour de pluie. Et devinez qui sera son chef opérateur ? Oui, son nouveau complice Vittorio.