Le cinéma allemand ne cesse de nous surprendre. Un an après « Toni Erdmann », ce « Western », film remarquable, est produit par Maren Ade. Coup de coeur de cette fin d’année.
Dans la campagne bulgare, sur un chantier, un groupe d’ouvriers allemands vit là le temps d’un été, échange des vannes ou des bières, creuse, casse, perce, et s’épuise au soleil. Rapidement ils se font connaître des autochtones, remarqués mais pas pour de bonnes raisons. Un conflit voit le jour. Les deux camps ne parlent pas la même langue mais on fait avec, tant bien que mal. Même quand le ton monte.
Sur cette matière première pas forcément alléchante, Grisebach greffe habilement les codes du western, l’air de rien. C’est que ce titre étrange nous met la puce à l’oreille : un cheval blanc que les deux camps veulent s’approprier, des échauffourées viriles, des menaces, la question d’un territoire et de ses frontières, celle de la langue et de la barrière entre deux peuples. Le souffle de John Ford plane sur le film ose même écrire un critique de Variety.
Du coup ce titre et ce parti pris colorent chaque scène, on voit le quotidien de ces personnages sous le prisme du western, comme un jeu cinéphile, un western contemporain peut-être, voilà qui est plutôt étonnant. Et qui annonce du sang ou un règlement de comptes.
Étonnant également le casting du film et la manière dont Grisebach travaille avec ses acteurs, tous non-professionnels. Pas d’emphase Bresonnienne, de non-jeu ou de pose, pas de gueules à la Dumont, quelque chose comme un ultra réalisme, où chacun est ce qu’il est dans la vie, garde son nom dans le film et oublie la caméra. Le naturel confondant des acteurs peu évoquer le meilleur de Pialat, par exemple La maison des bois où l’on joue à peine.
Meinhard Neumann est la grande révélation du film, par sa présence, son intelligence, sa force fragile, son sang froid (pas toujours tenu). Il est pour beaucoup dans le mystère du film. Il y a une grande beauté dans sa dignité, une évidence à la voir bouger, occuper l’espace. Il est la grande question centrale que pose le scénario. Où va-t-on c’est-à-dire où va-t-il ? Rares sont les films qui n’annoncent pas à grands sabots la direction qu’ils comptent prendre. Et ici nous sommes pris jusqu’au terme, inquiets, incertains.
Onze ans après son dernier film, Sensucht, Grisebach a eu la chance d’être sélectionnée à Cannes dans la catégorie un certain regard. On ne saurait mieux qualifier son cinéma, minutieux, au plus près des corps, plutôt taiseux, où on sent que le film est aussi un documentaire sur son propre tournage (la fameuse phrase de Rivette). Cette équipe a vécu en Bulgarie, les gens ont appris à se connaître. Il y a du hors-champ. Il y a du réel. Et une richesse que peu de films aujourd’hui peuvent offrir. Un film qui prend son temps, celui de se chercher, celui de se réinventer. Honneur, morale, oui, en un mot, western.