Vers l’autre rive (Kishibe no tabi) (2015) est le 27 long-métrage de Kiyoshi Kurosawa, si l’on excepte ses réalisation pour la TV japonaise. Ce film modeste – presque humble – sur la forme, marque pour de bon (on l’espère) l’entrée dans l’âge adulte du génial et un peu brouillon homonyme du maître Akira Kurosawa (aucun lien de parenté). Critique.
Adapté d’un roman de Kazumi Yumoto, il est présenté dans la section Un certain regard au Festival de Cannes 2015 où il remporte le Prix de la mise en scène. Il faut dire que ce film est le parfait compromis entre la passion pour le fantastique et l’étrange de Kiyoshi Kurosawa et sa volonté, plutôt récente, de tenir son récit et de ne pas se disperser.
Synopsis :
En plein cœur du Japon, Yusuke convie sa compagne Mizuki à un véritable périple à travers les villages et les rizières. A la rencontre de ceux qu’il a croisés sur sa route depuis ces trois dernières années, depuis ce moment où il s’est noyé en mer, depuis ce jour où il est mort. Pourquoi est-il revenu ? Que veut-il confier à Mizuki avant son départ ?
Vers l’autre rive est de ces films métaphysiques à la fois bouleversants et profonds qui parviennent à nous plonger dans une histoire passionnante, tout en mettant en éveil nos propres questionnements intérieurs.
Mise en scène et subtilité
En effet, c’est par une description d’un quotidien banal d’une femme vivant à Tokyo que Kiyoshi Kurosawa nous cueille sans qu’on s’en aperçoive. On parvient tout juste à sentir un peu de le mélancolie chez cette femme au quotidien un peu trop bien réglé. Puis, c’est par une apparition que le film bascule. Rien d’extraordinaire. Non. La mise en scène de Kiyoshi Kurosawa nous plonge par de petits décalages, quelques faux raccords, peu à peu dans le surnaturel.
Ce prix de la mise en scène, Kiyoshi Kurosawa ne l’a décidément pas volé ! Il privilégie sans cesse l’élégance, à l’ajout d’artifices numériques. Un lent mouvement de caméra vers un espace vide d’un appartement indique une présence surnaturelle. Un décadrage d’un visage en gros plan nous prévient de l’arrivée probable du mari.
Si la caméra parvient à nous indiquer une présence surnaturelle, Kurosawa s’attèle à respecter son personnage et n’en fait pas une altérité immonde.
Yusuke, justement, Kiyoshi Kurosawa ne le filme pas comme un vulgaire spectre comme dans son film terrifiant Kaïro (2001). Il s’attache à ne pas le rendre étranger à notre monde. En cela, il respecte la tradition japonaise qui veut que les vivants et les morts ne soient jamais définitivement séparés. On n’en vient même peu à peu à questionner cette frontière entre la vie et la mort.
Ceci étant, le propos du cinéaste est bien plus complexe et passionnant que cela. Il ne souhaite pas un retour des morts (on n’est pas chez Les Revenants 😉 ), ni plaide pour une sorte de cohabitation plus ou moins assumée. Kurosawa indique, par petites touches, que Yusuke n’est pas à sa place et son voyage semble, par conséquent, devoir avoir une fin. Reste à savoir quel en sera la destination. Et surtout, pourquoi est-il revenu.
La chose la plus étrange finalement dans cette histoire n’est pas le retour du mari, mais plutôt la manière dont sa femme Mizuki, reçoit la nouvelle avec simplicité. Elle ne questionne pas, ou si peu.
Elle décide en un instant de l’accompagner à la rencontre d’autres fantômes dont l’histoire nous sera contée – tantôt bouleversante, tantôt un brin pathétique.
Mais à mi-parcours, Kurosawa rebat les cartes et il fait bien. Évitant en cela l’effet catalogue de son récit et la linéarité du road-movie à clés.
Le parcours devient alors plus personnel, la sincérité du propos plus touchante et les questionnements métaphysiques finissent par prendre le dessus.
Sortis de la salle, vous aussi vous cogiterez pour le meilleur en repensant à ce film absolument unique.