Le Vénérable W. est un documentaire dans lequel Barbet Schroeder filme une nouvelle fois le visage du Mal, à savoir le vénérable mais terrifiant Wirathu, moine bouddhiste prônant ni plus ni moins la persécution et, ne nous leurrons pas, l’extermination des minorités musulmane en Birmanie. Critique.
Plus intéressé par ses personnages que pour débusquer la vérité, Barbet Schroeder filme une nouvelle fois un vile personnage avec un intrigant sens de la mesure. Une nouvelle fois, car ce Vénérable W. clôt sa « trilogie du mal » entamée avec Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974) et L’Avocat de la terreur (2007), sur Jacques Vergès, qui a défendu notamment Klaus Barbie.
Cette fois-ci, la force de ce documentaire repose sur la dichotomie entre la joviale, presque bonhomme, attitude de Wirathu et la monstruosité, inhumanité de ses discours obnubilés par une chose : prouver que les musulmans n’ont rien à faire en Birmanie et inciter la population à tout mettre en œuvre pour les chasser (voire pire).
Une nouvelle fois, Barbet Schroeder a trouvé un spécimen assez incomparable, que l’on peut classer directement dans un top 5 des pires raclures de ce début de 21ème siècle. A ce propos, ses fous rires enfantins ponctuant des discours ouvertement xénophobes et remplis de haine vous glaceront le sang.
Sur cet aspect purement anecdotique, serait-on tenté dire, ce documentaire est une véritable réussite : inutile de vous dire que vous allez passer un moment relativement malaisant… Par contre, Le Vénérable W. pêche grandement sur le reste : le fond et la forme.
Le fond, d’abord. Pour coller à son concept vendeur, mais hautement contestable, de « trilogie du mal », Barbet Schroeder a choisi la figure de ce moine bouddhiste comme la personnification du mal birman. Or, la situation est beaucoup plus complexe que cela. D’ailleurs, le documentaire montre très justement que les persécutions sur les minorités musulmanes sont bien plus antérieures aux initiatives de ce Wirathu. Dès la fin des années 1970, les minorités Rohingyas, les musulmans habitant dans l’ouest de la Birmanie, subissent des persécutions et sont même obligés de se réfugier au Bangladesh (l’un des pays les plus pauvres du monde, il faut le faire !). D’ailleurs, des lois d’exception leur retire la nationalité birmane dès les années suivantes. Si ce dernier a sans doute su surfer sur la haine et les conflits ethniques latents, le fameux « mal » est bien plus profond que cela et ne peut se réduire à l’existence d’un seul homme. Alors, bien sûr la situation dégénère depuis quelques années, mais il est difficile d’avoir un minimum de recul pour interpréter la situation. Et c’est l’autre défaut de ce documentaire qui succombe à l’événementiel au détriment de l’analyse et, au minimum, de témoignages contextualisés.
La forme est également questionnable. Barbet Schroeder a choisi un dispositif très riche qui nous a semblé inutilement complexe. Si la force de ce documentaire est de s’appuyer sur énormément d’images d’archives tournées par les acteurs du drame (Wirathu et son mouvement se servent des réseaux sociaux comme d’une caisse de résonnance), le réalisateur utilise à la fois des images en situation tournées par lui-même, des interviews filmées, le tout articulé avec pas moins de deux voix-off : celle du narrateur principal censée représenter la voix d’un moine (Bulle Ogier) et celle du réalisateur lui-même qui se permet ponctuellement d’intervenir dans le récit. Ce dispositif interpelle et révèle une difficulté du réalisateur à se positionner.
Mais, on s’en doute, ce qui intéresse avant tout Barbet Schroeder, c’est interroger la figure du Mal. Sauf qu’à notre sens, s’il a réussi à rendre palpable la folie d’un homme, Barbet Schroeder n’est pas parvenu à en faire plus qu’un personnage. Si ses deux précédents documentaires ont remarquablement su faire émerger des figures à la fois glaçantes et iconiques, effrayantes car incompréhensibles et extérieures à toute notion de bien et de mal, ici ne se dégage que le sentiment, certes effarant, que le Mal peut décidément se nicher partout.
Et c’est peut-être cela la réussite du film, plus que de nous montrer « l’avocat des monstres » ou le visage d’un « dictateur fou », Barbet Schroeder prouve que la folie collective est plus que jamais le drame de nos temps modernes.