Cela fait maintenant 4 ans que l’ombre de It Follows nous suit. 4 ans que David Robert Mitchell, son réalisateur, vit avec elle, lui aussi. Sa réputation d’audacieux slasher et d’hommage non conventionnel lui collant aux basques. Mais Robert Mitchell a mieux à faire que ses références. Ces étiquettes, il essaye de s’en débarrasser dorénavant. Mais avant un adieu solennel, il va opérer une dissection à sa manière. Avec Under The Silver Lake, il a décidé de leur faire la peau. Quitte à fracasser quelques crânes.
Sam, loser magnifique, vit dans un petit lotissement californien à étages. Entre 2 lectures de fanzines, il se délecte d’espionner ses voisines à leurs balcons ou sur les bords de la piscine. La belle Sarah, avec qui il commence à flirter, disparaît du jour au lendemain. Lui laissant un message cryptique en guise de lettre d’adieu. Lancé à sa recherche, Sam ira de surprises en découvertes. Sans compter le tueur de chien qui rôde aux alentours.
Abysse
Comment qualifier un film comme Under The Silver Lake ? Étrange, Élitiste, Hipster ? La dernière option semble convenir tant le film joue avec notre culture. Qu’elle soit musicale, photographique, cinématographique. Mitchell embarque tout. De la moindre anecdote de puriste au gros clin d’oeil méta. Il est pourtant loin du produit industriel roublard, paré à séduire le petit malin un peu cultivé. Under est un millefeuille, sur un millefeuille, sur un troisième millefeuille. Une création dense, solide, qui se savoure en la laissant fondre doucement.
Malgré sa filiation évidente avec les thrillers de De Palma, qui lui même citait ceux d’Hitchcock (Ces hommages participent au message du film) David Robert Mitchell ne s’attache pas à un genre. Il ne tente pas une déconstruction non plus. Polymorphe, le film essaye une multitude d’enveloppes allant du film noir au film d’horreur en passant par la romance ou la comédie absurde. Coupant définitivement les ponts avec ses concurrents : Ready Player One et Scott Pilgrim vs The World. Sam, le héros, n’en à rien à faire d’avoir une Delorean ou une vie supplémentaire. Mitchell se préoccupe d’une relation plus mystique à l’imaginaire collectif. Les légendes urbaines, les ragots, les contes populaires ont une place primordiale.
Ici, la démarche n’est pas de caresser les souvenirs du spectateur avec des gants de velours. Au contraire, il incite à interroger leur raison d’être. Tous ces films, albums, séries, dans quel but sont-ils créés ? Quelle finalité trouve-t-on dans leurs origines ? Est-ce que ma réception personnelle rejoint la démarche intime du créateur ?
Edoc Treces
Mitchell pousse au vertige du vide, l’absence de sens ou une raison purement futile. Cynique puis nihiliste, Under fera grincer des dents même les plus amers de ses spectateurs. Bien au delà du simple réconfort qu’il procure, Mitchell défend un message presque théologique. Celles dont les créations ont forgé notre foi, nos croyances. Il interroge sur ce qui a façonné notre sens du réel. En interrogeant sans cesse notre imaginaire. A détecter ce qui semble vrai ou faux de manière instinctive. Car au-delà de la quête de son personnage, le film incite son spectateur à être actif. Chaque numéro ou symbole a un sens. Qu’il serve l’intrigue, le message ou la caractérisation, tout est à sa place pour une raison. Le film récompensera les plus curieux et éliminera les plus sceptiques.
Véritable ballade mentale, ce film diffuse des émotions à la fois vertigineuses et tortueuses. Comme un rêve surréaliste, le film additionne les points de rupture. D’une séquence à une autre, la douceur d’un flirt peut se briser par l’angoissante découverte d’une silhouette menaçante suivant le héros. Faisant percuter le conscient et l’inconscient. La réalisation exprime d’ailleurs ce propos avec beaucoup d’acidité.
Deux émotions contraires viennent et reviennent face à face. En lieu et place d’un équilibre, c’est un duel auquel se confronte l’amour et la mort. Mitchell symbolise cette confrontation par le biais de l’image. Plus précisément par les médias. Chaînes d’info en continu et tweets venant capitaliser sur les drames intimes. Tandis que dans leurs chambres à coucher, les personnages sont affairés à des choses plus légères. Tout comme It Follows, Mitchell dépasse le simple doux amer pour offrir une vue d’ensemble sur notre consommation quotidienne d’images et son pouvoir de conditionnement.
Foi(re) aux images
L’image d’Épinal, l’épiphanie, Under The Silver Lake nous en gave. Sam est sans cesse au contact d’images, de sons, d’icônes, de symboles. Construction mentale alambiquée, certaines scènes paraissent sans aucun sens, comme chez Lynch par exemple. Cette science de l’association, Mitchell la pratique avec beaucoup d’acuité. Il ne serait d’ailleurs pas impossible qu’en repliant le film sur lui même, en faisant se rejoindre deux scènes éloignées, un sens nouveau viendrait éclore.
Le génie d’Under The Silver Lake se trouve là. De cette recherche perpétuelle d’un nouveau sens, quitte à laisser son esprit s’éloigner du bord. De longs fondus enchaînés et des plans séquences vertigineux participant également à cette hypnose. Bercé d’une lumière douce qui vient envelopper tout ce monde dans un songe très laiteux, les images viennent se poser sur une bande originale lancinante et vénéneuse. Nous faisant plonger dans une infinité de cauchemars.
Under The Silver Lake est un film unique en son genre. Déroutant et rafraîchissant, il esquive l’aspect one shot du film à twist. Grâce à une énergie et à sa construction ambitieuse, il est regardable à l’infini. Pour cette raison, il s’apprête à recevoir trois types de réactions : Ceux qui y trouveront un film noir moderne un peu freaky, ceux qui s’aventureront dans ses mystères en tentant comme Sam de relier tous les points et enfin ceux qui lui voueront un culte. Culte, dans le sens premier du terme. Analysant les films suivants par le prisme de celui-ci. Car le regard qu’il porte et les messages qu’il véhicule n’ont jamais réussi à aussi bien capter l’époque. Notre époque.