Pour tout dire, on avait cessé de suivre le cinéma de Hong Sang-soo il y a quelques années un peu par lassitude et beaucoup par ignorance, croyant qu’on avait fait le tour de son cinéma. Attiré par son Léopard d’or au Festival de Locarno, on a décidé de tenter à nouveau notre chance avec son dernier long-métrage, Un jour avec, un jour sans. Résultat ? On a bien fait ! Critique d’un des films les plus inventifs de ce début d’année 2016.
Résumé
Pour ceux qui ne seraient pas familiers des films de Hong Sang-soo, je préfère vous signaler qu’il met en scène quasiment toujours les mêmes histoires d’amours impossibles ou de triangles amoureux improbables. Ici, l’histoire se concentre sur une journée d’un réalisateur, Ham Cheonsoo (interprété par l’excellent Jung Jae-young, vu notamment dans Confession of Murder) qui arrive un jour trop tôt dans la ville de Suwon, où il a été invité pour présenter son nouveau film. Il profite de cette journée d’attente pour visiter un palais de la ville. Il y rencontre Yoon Heejeong (Kim Min-hee, également très douée), une artiste un peu paumée avec laquelle il va discuter, dîner, boire… Mais il n’est pas tout à fait honnête avec elle.
Le point fort de cette petite histoire sans prétention, en apparence, est de nous proposer deux versions de cette rencontre qui s’avérera bien plus qu’une tranche de vie pour nos deux protagonistes.
Une rencontre : deux histoires
Et oui, non content de réaliser une fois encore une histoire d’amour impossible, c’est deux histoires d’amour (en fait la même histoire avec quelques différences subtiles) qu’il propose à ses détracteurs. Rien que pour cela, on a envie de saluer la constance (l’obstination ?) de Hong Sang-soo à filmer les thèmes qui lui sont chers.
Ainsi, tel un magicien, Hong Sang-Soo décide, à la fin de son histoire (devant une salle de cinéma…), de la recommencer à l’identique, ou presque. Et c’est ce « presque » qui fera la richesse et la singularité de cette deuxième partie. Car, je vous rassure, la première partie se suffirait à elle-même tant le talent pour les scènes de dialogues au cordeau du réalisateur est à son sommet. Sans parler de la mise en scène toujours aussi précieuse et inventive du « roi du zoom » de Séoul.
Ce positionnement radical et quasiment expérimental de filmer deux fois la même histoire (il ne s’agit pas de deux points de vues différents à la Rashomon de Kurosawa mais bien de deux fois la même situation, filmée dans les mêmes lieux) s’avère tenir du miracle sur le fond comme sur la forme tant Hong Sang-Soo parvient à nous tenir en haleine deux fois d’affilé pour cette amourette. Comment y parvient-il ? En déplaçant légèrement son propos et sa caméra pour nous prouver que des personnages et des situations, qui pourraient nous paraître un brin archétypaux, sont toujours plus complexes que l’on pourrait l’imaginer.
En dialoguant de manière différente la même scène, ou en choisissant de cadrer différemment le même dialogue, il nous donne à voir cette complexité. N’est-ce pas cela une véritable mise en scène en relief ? Un synopsis, une mise en scène, des dialogues et des personnages divergeant inexorablement pour se différencier totalement, le tout révélant la complexité d’une histoire nous permettant d’entrevoir le réel.
Bien sûr, c’est passionnant d’un point de vue théorique, mais c’est également très enrichissant sur ce que cela nous raconte de la vie et des gens qui nous entourent : qui sont-ils réellement ? Qu’est-ce qui fait une belle rencontre : un peu de magie ou beaucoup de hasard ?
Un dernier mot sur la mise en scène géniale de Hong Sang-Soo qui privilégie les longs plans séquences permettant de faire vivre la rencontre dans sa longueur en visant les imperceptibles regards, sourires et gênes occasionnés par ce type de rencontres. Pour conserver une certaine latitude de mise en scène, il utilise avec brio le zoom – souvent légers, parfois très puissant (artifice honni par les puristes, et pourtant !…) pour se concentrer sur le visage de l’héroïne blessée par une remarque ou sur celui du réalisateur gêné ou mis en danger par une révélation. Car dans ce film, tout est question de faux-semblants et de points de vues plus ou moins bien dissimulés sur les autres.
Encore une fois, Hong Sang-Soo nous surprend par son ambition formelle et son talent pour dépeindre la complexité des sentiments et des interactions sociales. Ce nouveau long-métrage fait de lui, l’un des meilleurs représentants d’un courant intimiste et arty frais, sensible et, surtout, vrai, à cent-mille lieux des clichés de la nouvelle vague indé américaine qui s’attèle trop souvent à nous mettre dans des cases bien trop étroites…