Après l’énorme succès de Twin Peaks, la série dont il était showrunner avec Mark Frost, David Lynch décida de transposer la petite ville américaine sur grand écran sous la forme d’un préquel. Affranchis de son compère (relégué au seul rang de producteur), Lynch arrivera-t-il à garder l’esprit de la série ? Et son film aura-t-il un véritable intérêt au-delà du seul fan service ?
Lors de son premier tiers, le film fait complètement abstraction de Twin Peaks au profit d’une autre enquête menée par le FBI, au cours de laquelle on croisera Dale Cooper et qui sera parsemée d’éléments mystérieux servant de liens avec l’enquête sur la mort de Laura Palmer. Cependant, ces derniers ne servent pas qu’à relier l’histoire du film à celui de la série puisqu’ils sont utilisés avec brio pour élargir l’univers exploré par la série et créer du hors champ. Je pense surtout à cette fameuse scène spectrale avec David Bowie qui, bien que privée de quelques minutes dans le montage final du film, montre sans trop en dire que le FBI a déjà été confronté à la black lodge à travers d’autres enquêtes.
Toujours dans cette optique de développement d’univers, Lynch se plaît à créer des personnages, des lieux, des situations renforçant la bizzarerie et la singularité d’un univers déjà bien barré dans la série. Mais ces éléments n’ont toutefois pas plu à une partie des spectateur qui n’y voyaient que des symboles lourdingues dont l’interprétation relevait de la masturbation intellectuelle (reproche qui sera souvent fait à Lynch par la suite). Cependant, pour moi, toute cette bizzarerie n’a pas à être interprétée. En effet, Lynch ne fait ici que de la caractérisation d’univers. Par exemple, au début du film, les agents du FBI communiquent avec un code secret, plutôt que d’utiliser, par exemple, un code écrit Lynch a préféré que le FBI utilise une femme dansante dont les mimiques et la tenue déterminent le message à faire passer; ainsi, une scène qui aurait pu être banale devient onirique, et c’est cohérent avec l’esprit du film et de la série. La plupart de ces “symboles”, malgré un ou deux métaphores un peu lourdes, ne servent finalement qu’à ça : caractériser un univers pour le rendre le plus étrange, onirique et effrayant possible.
Après la parenthèse sur cette enquête, nous voici à Twin Peaks avant les événements de la série. Le film retrace alors les 7 derniers jours de Laura Palmer et ce concept permet à Lynch de faire quelque chose de très intéressant. Cette partie du film est un véritable teen movie glissant tout doucement vers une descente aux enfers très noire. Ainsi, à la manière d’un John Hugues en descente de drogues, Fire Walk with Me sonde l’âme d’une jeunesse à la recherche d’elle-même et tentée par l’interdit et se penche aussi sur la relation père/fille. Au delà de son aspect teen-movie et de tous les poncifs (assumés) liés au genre, le film est parsemé de scènes d’horreur vraiment effrayantes et de moments à l’intensité dramatique très réussie. Lynch n’hésite pas à mettre de côté les intrigues parodiant les soaps (et qui rendaient la série un peu plus légère mais qui en ralentissait parfois l’intrigue principale) au profit d’une grande noirceur et d’un rythme très efficace. En effet, même si le scénario n’établit pas un objectif clair pour le personnage principal, la narration est très fluide et s’enchaîne sans véritables longueurs.
D’un point de vue mise en scène, Fire Walk with Me est sûrement l’un des films les plus sobres du réalisateur, toutefois, elle reste très intéressante et assure la transition de Twin Peaks du petit vers le grand écran grâce à un découpage influencé par des codes de télévision. Lynch n’hésite jamais à casser la précision de sa mise en scène pour perdre le spectateur dans le psyché de ses personnages. Puisque le film repose beaucoup sur son ambiance, il faut aussi saluer les lumières de Ronald Victor Garcia, souvent sublimes, ainsi que le score audio de Lynch et d’Angelo Badalamenti, qui véhiculent beaucoup d’émotions là où le découpage est plutôt froid.
Fire Walk with Me est donc une franche réussite qui réduit au minimum le fan service pour compléter, voire élargir, l’univers de Twin Peaks tout en étant très abouti artistiquement et proposant une narration intéressante qui réussit la transition entre deux médias différents.