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Note de la rédaction :

C’est l’histoire du réalisateur qui se fait dévorer par un film qui le dépasse. Le temps passe, il écrème les films de la mémoire collective. Il peut avoir un succès critique, commercial, il arrive parfois que le monde oublie. A l’inverse, des films incompris resurgissent et s’incrustent dans l’histoire du cinéma. La restauration de long-métrage est une piqure de rappel, elle permet au cinéma de se souvenir.

Aujourd’hui il sera question de Joseph Losey, réalisateur américain particulièrement connu pour Eva avec Jeanne Moreau et Stanley Baker. Il s’agit de Deux hommes en fuite, réalisé en 1969, Robert Shaw (Les Dents de la Mer), Malcolm McDowell (Orange mécanique, et plus récemment Mozart in the Jungle) y jouent le rôle d’évadés.

« Deux hommes courent sur la plage à l’aube. Ils ont les mains liées derrière le dos. Au même moment, un hélicoptère survole frénétiquement les environs. MacConnachie et Ansell sont deux évadés qui, pour tenter d’échapper à leurs geôliers, doivent traverser des paysages sauvages et inhospitaliers. »

Le scénario est assuré par l’acteur Shaw lui-même, une décision du réalisateur. Le film est tiré du roman Silhouette dans un Paysage de Barry England. Ce dernier explicite davantage la cause et le lieu du thriller, contrairement au réalisateur qui décide d’engager Robert Shaw pour retravailler l’intrigue. Il choisit d’effacer les causes et le lieu de la fuite afin d’y proposer une dimension universelle. Mais il est intéressant de souligner que malgré tout, le film est britannique, et qu’il laisse planer l’ombre du Maccarthysme. En recontextualisant, les évadés seraient les cinéastes américains communistes, et les geôliers vêtiraient les habits de l’Etat et d’Hollywood. Le Maccarthysme est un moment sombre pour le cinéma Hollywoodien, il a été question d’une chasse aux sorcières afin d’y faire taire (y entendre « arrêter ») de nombreux scénaristes et réalisateurs communistes. C’était le cas de Joseph Losey, qui depuis son plus jeune âge est attaché au parti communiste. Il a été contraint de s’exiler au Royaume-Uni afin d’éviter d’être condamné pour ses idées politiques.

« C’est un film subjectif sur la condition humaine dans notre monde d’aujourd’hui où la liberté n’est souvent qu’illusion. » Joseph Losey

Le film est haletant et propose un nouveau genre de thriller. On pourrait peut-être reprocher au personnage de Robert Shaw son aspect un brin caricatural (l’exagération des rires notamment). Mais si les traits du personnage sont parfois grossiers, ils n’empêchent pas l’alchimie entre les personnages. Le film a le mérite de ne pas prendre le spectateur par la main, et le laisse dans le flou, en lui suggérant de faire ses propres interprétations.

Dans une émission sur le cinéma diffusée en 1970 sur l’ORTF, le réalisateur dit ceci : « On peut prendre le film comme un film d’action, comme une sorte de western, mais j’ai voulu étudier d’autres aspects. L’idée de départ c’était ces deux personnages : deux fourmis dans un monde immense, deux personnages minuscules dans un paysage d’une autre planète, un paysage quasi lunaire. » Son aspect inclassable a inspiré de nombreux films tels que Runaway Train d’Andrei Konchalovsky ou Essential Killing de Jerzy Skolimowski.

Deux hommes en fuite, un film important et oublié, va être diffusé pour la première fois en version restaurée au cinéma le 27 septembre 2017.

Pancake

Jeune scénariste, étudiant à Paris-Sorbonne et éventuellement critique de film

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