Il est incontestable que le film de McDonagh exerce un certain impact sur le spectateur, d’où sa présence remarquée en cette saison des prix (Golden Globe, Oscars…) grâce à son mélange d’humour et de violence qui peut évoquer les frères Coen. Il y a quelques scènes où le film fait mouche, frontalement, puisque c’est le genre d’un réalisateur assez rentre-dedans, par exemple dans cette scène au commissariat entre Frances McDormand et Woody Harrelson – ceux qui ont vu le film savent, cette scène saute tellement aux yeux qu’on ne l’oublie plus. Oui, il y a parfois de belles trouvailles dans « Three Billboards ».
Mais on peut aussi se demander si le film, en nous en mettant plein la vue, ne nous aveugle pas en partie sur ses procédés. Comme souvent aujourd’hui et pour le coup McDonagh n’est pas spécifiquement pointé du doigt ici, il y a déjà une utilisation intrusive de la musique, toujours là, à tous les étages, en fond, en accompagnement, en commentaire (cette scène est triste dit la BO, celle-là forte etc).
Pourquoi ne pas laisser quelques minutes le spectateur seul avec les images, seul avec ses questions ? Non, on commente, on oriente, la musique fait doublon. C’est pourtant un procédé contestable tant un silence bien placé peut-être efficace. Mais passons, il y a plus embêtant.
Le cinéma provocateur de McDonagh pose dans ce nouveau long-métrage des questions très limites en proposant un mélange étonnant d’humanisme-anar. Quelque chose comme : quand ça va pas, un bon cocktail molotov et/ou un coup de pied dans les couilles remettent les choses à leur place. Donc Three Billboards voudrait faire office d’Erin Brockovich des années 2010, anti-système mais plus musclé. Pourquoi pas. Sauf que l’utilisation de la violence chez McDonagh devient vite une preuve de sa perte de contrôle. Pas une scène qui ne se termine en carnage, pas une violence qui ne soit montrée, mais surtout des trajectoires bien tristes pour ses personnages. Beaucoup se seront arrêtés à l’épisode de rédemption (difficile à avaler) du personnage de Sam Rockwell, flic raciste et abruti par l’alcool qui semble changer son fusil d’épaule. Oui, et alors ? Il faut voir comment Frances McDormand reste butée dans ses principes, quitte à faire le mal plus ou moins volontairement autour d’elle, incapable de progresser, autiste jusqu’à bout, même quand le nouvel inspecteur lui propose de renouer le dialogue. Le film voudrait faire de ces deux-là ses héros, des héros inattendus carabine à la main, en criant « faites-vous justice, personne ne le fera pour vous ».
Il y a vraiment une surenchère qui ressemble parfois à de la bêtise, et cherche à séduire. La violence équivaut à une forme de jubilation, elle n’est jamais hors-champ, McDonagh veut la justifier, l’escalade des coups devient autant de marques sur le visage de ses personnages qu’elle doit garantir une escalade émotionnelle. Non seulement le présupposé est absurde mais McDonagh manque d’identité visuelle, exception faite d’un plan-séquence spectaculaire au coeur du film. Le reste, c’est une réalisation sage, souvent anonyme, qui a suffisamment confiance dans ses coups de bluff scénaristiques pour emporter la mise.
« Three Billboards » n’est pas une imposture, le film réserve quelques bonnes surprises, le casting est excellent et certains épisodes vous retourneront les tripes. Mais il y a aussi une bonne dose de violence puérile et de retournements tirés par les cheveux pour en faire le premier grand film de ce début d’année. Dommage.