Créer des œuvres à la symbolique outrageusement signifiante n’est pas un problème en soi surtout lorsque le réalisateur évoque la question du passage à l’âge adulte, nous avions apprécié It Follows et dans une moindre mesure Grave, mais cela exige à la fois une rigueur dans l’écriture et un minimum d’originalité. Malheureusement, Thelma de Joachim Trier ne remplit pas complètement ces 2 critères. Critique.
Le film est sorti en DVD, BRD et VOD depuis le 4 avril 2018
Thelma au bal de Dieu
Sur une thématique très plaisante, Joachim Trier tente de renouveler un genre déjà omniprésent cette année pour nous – spectateurs français (Grave, Ava et nous en oublions sans doute). Thelma, comme son nom l’indique, raconte l’histoire d’une jeune femme introvertie découvrant progressivement qu’elle a des pouvoirs télékinésiques.
Non, il ne s’agit pas d’un remake de Carrie de Brian De Palma, même si le réalisateur assume pleinement la référence en citant frontalement le chef-d’œuvre à plusieurs reprises.
C’est par les choix esthétiques que Thelma impose sa singularité. Après une scène absolument géniale montrant un père et une fille (Thelma enfant) lors d’une partie de chasse, dans laquelle le père tourne son arme un court instant en direction de sa fille, le film impose sa patte dès le deuxième plan. Un long plan zénithal introduit le film et ne laisse aucun doute sur le sujet du film : une force supérieure, si ce n’est divine, impose son emprise sur Thelma.
Passée cette étape décisive qui marquera idéologiquement et esthétiquement tout le film, Joachim Trier peut dérouler une première partie irréprochable sur le plan de la mise en scène, bien qu’un brin convenue. Si la force du film réside dans des choix esthétiques forts imprimant la rétine, l’écriture nous a paru un brin moins convaincante. En effet, l’histoire suivra toutes les étapes, de la rencontre à la découverte de l’amour, qui feront passer Thelma à l’âge adulte.
Traumas & troubles sexuels
Ainsi, on comprend rapidement que l’éducation extrêmement religieuse de Thelma a une explication plus profonde. Et c’est là où le bât blesse : si la forme est à couper le souffle, les ressorts narratifs sont trop souvent cousus de fil blanc. Première fausse piste, on comprend rapidement que le film n’a, au final, pas grand-chose à voir avec l’oppression religieuse. Deuxième limite, même le spectateur peu attentif aura tôt fait de cocher toutes les cases des thématiques restantes : les traumas de l’enfance, la peur de grandir et, bien entendu, les fameux troubles sexuels devenus le sujet numéro un quand il s’agit de traiter du passage à l’âge adulte vu à travers le regard d’une jeune femme (pour les jeunes hommes, c’est un peu plus compliqué apparemment).
Néanmoins, il serait malhonnête de ne pas reconnaître la puissance de certaines séquences à la symbolique touchant juste : on pense notamment aux correspondances entre les cauchemars de Thelma et les événements traumatiques vécus par cette dernière.
Outre la mise en scène, le point fort du film repose essentiellement sur la jeune Eili Harboe, formidable dans le rôle de Thelma, à la fois inquiétante et jamais dans les afféteries qu’un rôle comme celui-ci pourrait engendrer.
Ambitions formelles
Baignant dans une atmosphère à la fois réaliste et presque quotidienne, la force du film réside également dans cette dichotomie constante (certes un brin mécanique) entre le temps de la vie banale et le surgissement du fantastique. Mais, encore une fois, ces moments de pure fantaisie perdent peu à peu de leur impact à mesure que l’on parvient à interpréter leur origine commune. Sans révéler cette dernière, on ne peut que regretter le déficit de fantaisie, ou du moins de trouble, dans la résolution de l’histoire.
Encore une fois, il s’agit d’un choix de mise en scène auquel on adhère ou pas (ce qui est notre cas), mais on ne peut que saluer le sérieux avec lequel Joaquim Trier parvient à conduire son récit. En effet, là où Thelma s’écarte sans ambiguïté de Carrie, It Follows ou même Grave, c’est dans la simplicité du dispositif mis en place. La force du film est sans doute là, dans la constance à laquelle Joaquim Trier parvient à traiter son sujet en respectant une ligne directrice cohérente et qui se veut, jusqu’au bout, crédible.
Sauf que malheureusement d’énormes incohérences gâchent l’ensemble : les parents de Thelma très (trop) envahissants au début du film disparaissent littéralement pendant une longue partie centrale, tout simplement parce que l’histoire l’exige. De même, Thelma possède des « pouvoirs » à géométrie variable sans que cela nous soit réellement expliqué, ce qui n’aurait pas été un problème en soi si le reste du récit n’était pas lui-même très explicatif.
Passé ces limites, certes problématiques, Thelma dispose d’énormément de qualités qu’il ne s’agirait pas de minimiser au regard de la production actuelle.
Dès lors, il ne subsiste qu’une question : avez-vous envie de vous plonger dans un film pas abouti mais très estimable réalisé par un futur grand du cinéma mondial ? Si oui, n’hésitez pas, Thelma vaut assurément le déplacement.
Le film est sorti en DVD, BRD et VOD depuis le 4 avril 2018 : Côté suppléments, un module de making of nous propose cinq minutes d’images volées sur le tournage, qui s’accompagne d’une galerie d’affiches abandonnées pour l’exploitation du film en France, ainsi que de la traditionnelle bande-annonce.