Il y a encore quelques années, les studios s’amusaient à perdurer les sagas à longueur de remakes et suites 30 ou 40 ans après. Mais le marché comme les studios évoluent. C’est désormais les retcons sequels et les remaquels qui partent amasser les deniers de fans anesthésiés. C’est sur ce terrain que The Predator tente de se faire une place.
Nouvelle itération avec à sa tête un Shane Black auréolé d’un regain de notoriété. Scénariste de l’Arme Fatale, il est désormais connu pour avoir réalisé le troisième opus d’Iron Man et The Nice Guys. Aussi à l’écriture, il fait équipe avec son ancien comparse Fred Dekker. Réalisateur du prometteur The Monster Squad, qui flinguera sa carrière avec un Robocop 3 de triste mémoire. Tous deux avaient pour contrat de rajeunir la créature apparue en 1987 dans la jungle de McTiernan.
Mercs without a purpose
« This is a kind of suicide squad »
L’association Black & Dekker résulte d’un bien prévisible bricolage. Le duo a pourtant la réputation d’offrir des dialogues corrosifs et un humour insolent. Black, dépendant à glisser des marottes dans ses scripts, peine ici à leur trouver un écrin. Le changement de festivité, troquant les décos de Noël pour celles d’Halloween, permet d’intégrer une courte scène complètement jouissive dans un pur style comédie horrifique. Le manque de place confiée à la progéniture d’un des héros vient plomber une histoire déjà très plate. Dans The Nice Guys, le personnage d’Angourie Rice parvenait à transformer le basique buddy duo en un délicieux trio. Avec The Predator, le fils du sniper d’élite Quinn Mckenna ne parvient pas à évoluer pour prendre une place primordial dans le dernier segment. Laissant un film orphelin de héros.
Ceci ne touche pas seulement le développement du kid mais bien l’ensemble du cast. Si la proposition d’une escouade de renégats constitue l’ADN de la franchise, il est difficile de s’attacher à eux. Black aime torturer ses personnages , suffit de voir Martin Riggs ou Holland March. Dans un groupe de 5 à 6 personnages, tous porteurs d’un défaut plus taré les uns que les autres, il est pénible de les voir affublé d’une quête morale d’un désir de rangement dans la case banlieue pavillonnaire. Leurs bouffoneries une fois s’être rendus dans le dit pavillon les font passer pour des Gremlins.
C’est dans les petits amuses bouches que Black et Dekker s’éclatent. Plusieurs fils rouges permettent de jouer avec la mythologie du Predator. Les humains utilisent à plusieurs reprises l’arsenal du dreadeux cosmique. Donnant des scènes grand guignolesques extrêmement grisantes. Il y a aussi l’origine de son nom. Faisant la nuance subtile entre un chasseur et un prédateur. Mais également une exploration plus vaste de la mythologie des Predators. Leurs vaisseaux, leur langage, leurs animaux de compagnie (oui,oui c’est hallucinant).
Toutes ces petites coquetteries, aussi divertissantes soient-elles sont des excroissances du propos. Un message identique à celui de l’illustre Jurassic World . A savoir que la créature représente le film d’origine. Ainsi, un Indominus Predator ,tout aussi brutal que son homologue jurassic, vient régler son compte à un Predator amputé d’une partie de son équipement. Le tout saupoudré d’une menace écologique complètement inutile. Un discours cynique et absolument hors de propos. Dépassé les déceptions entourant des gimmicks de la saga ou de son propre style, Black n’arrive tout simplement pas à raconter son histoire.
Hunt For Play…
Un premier quart d’heure dans des charentaises cousus sur le canevas de la traque tropicale de McTi plus tard, le film se délite progressivement. Il est connu, le film a souffert d’importants reshoots. Détruisant des semaines de travail. Cela implique entre autres la disparition de deux nouveaux Predators et une reconstruction complète de la séquence finale. Il est impossible même pour les yeux les plus profanes en matière de montage et de narration de ne pas détecter ces colmatages dans The Predator.
Walter Murch, le monteur de Francis Coppola a dit dans son livre En un Clin d’œil que le montage d’un film consiste en une exploration en pleine Amazonie. Chaque coupe étant un chemin à multiples embranchements. Chaque parcelle empruntée débouchant sur un autre croisement et une autre coupe. Si Murch conseille d’y aller prudemment avec une machette bien aiguisée, The Predator lui déboule avec un immense bulldozer détruisant les palmiers et les arbustes. Dans l’une de ses phases, le film cumule un montage parallèle entre 3-4 groupes de personnages. Une préparation est nécessaire pour que le public comprenne le terrain d’opération, les positions de chacun et, le plus important, les enjeux de tous. Une installation pour décupler également la puissance de nos rastas intergalactiques. The Predator se moque totalement de ce dispositif.
Dans En un Clin d’œil, encore, Murch explicite qu’un raccord se soumet à 6 critères. Le critère prioritaire est l’émotion. Dans un film où les personnages sont aussi archétypaux, difficile de ressentir quelque chose pour eux. Ensuite viens l’histoire. Qui peine à se déroule faisant des détours et des parenthèses forcées. Viens en milieu de liste le rythme. Préserver le rythme, c’est le leitmotiv que s’est fixé The Predator. Coûte que coûte, à tout prix. Dévaler le hors-piste de sa narration sans s’arrêter.
…Kill For Fun
Pour garder cette allure folle, le film s’offre des plans proches du Z. Comme cette séquence où le über Predator tire un câble métallique décapitant trois humains assis dans une jeep passant par là. Racontés hors contexte, ces 6 plans peuvent être fun, mais le montage ne consiste pas à associer uniquement des plans entre eux à la chaîne. Ils intègrent des arcs narratifs, qui eux même prennent places au sein d’actes.
Cet exemple compte parmi un ensemble de situation totalement improbables. Des personnages changent de costumes pendant un champ contre-champ, des véhicules apparaissent et disparaissent. Si ces exemples, la plupart s’en moque, cela s’applique aussi aux jeux des comédiens. On peut alors voir un personnage dans un registre sarcastique s’adresser à un personnage sérieux. Enfumant le spectateur dans un rythme sans pause, le film délivre un maximum d’informations. Ainsi, aucun personnage ne peut évoluer psychologiquement. Les plans viennent s’agglomérer sur d’autres pour faire de l’exposition jusqu’au ¾ du métrage. Shane Black expédie le film le plus rapidement possible jusqu’aux crédits pour pouvoir enchaîner sur le suivant. Malgré tout, il conserve quelques vannes et intentions de réalisations de son cru qui viendront illuminer un film très mal en point.
The Predator, comme tellement de blockbusters depuis trop longtemps, est un scandaleux produit. Victime du Predator dans l’original, Shane Black vient se faire dépecer une nouvelle fois. Car le über predator n’incarne pas le film lui-même mais ses producteurs avides de licences à faire survivre. Malgré, cette grille de lecture fou furieuse, le film a la forme d’un brainstorming de grosses pontes poudrées jusqu’aux orbites.