Film en compétition dans le cadre de la 10ème édition du Festival Hallucinations collectives, The Limehouse Golem, adaptation du roman Le Golem de Londres de Peter Ackroyd, réalisé par Juan Carlos Medina est une immense réussite compte tenu du matériaux de départ. Comment adapter un roman si touffu, si fou, retraçant les visions délirantes d’un psychopathe et tueur en série dans un Londres victorien où la population grouillante semble abrutir son quotidien difficile dans la violence, le sexe et l’imagination d’artistes de music hall dont l’émergence coïncide également avec celle de l’émancipation féminine. Mais une question reste en suspend : qui est ce Golem commettant des assassinats plus horribles les uns que les autres ? Touffu vous disais-je ? Effectivement ! Critique.
Résumé
Londres, 1880. Adossé à Whitechapel, le quartier populaire de Limehouse connaît une vague sans précédent de meurtres. Un couple âgé, une prostituée, un rabbin… Abominables, les assassinats se succèdent sans que la police trouve le moindre indice conduisant au tueur. Un tueur qui, en lettres de sang, signe ses forfaits « Golem », nom qui fait référence à une créature des légendes hébraïques.
Chargé de l’enquête, l’inspecteur Kildare de Scotland Yard découvre un lien entre cette affaire et le cas d’Elizabeth Cree, une artiste de music hall jugée pour avoir assassiné son mari, le dramaturge John Cree soupçonné d’ être l’insaisissable assassin de Limehouse. Un suspect n°1 mort et enterré ? Possible, mais Kildare n’exclut pas que l’assassin puisse toujours arpenter le pavé …
Un roman impossible à adapter ?
Comme nous le précisera lui-même Juan Carlos Medina lors d’une interview réalisée dans le cadre du Festival Hallucinations Collectives, ce projet a circulé pendant des années. Publié en 1994, le roman « Le Golem de Londres » suscite immédiatement l’intérêt des producteurs. Notamment de Stephen Woolley, l’un des piliers du cinéma britannique depuis les années 1980. Il se passionne pour ce thriller victorien très particulier de par sa construction et la force des images véhiculées par la narration à la première personne.
Malheureusement, les responsables de Merchant Ivory avaient précédé le producteur de The Crying Game. Mais vu le caractère protéiforme du roman, quatre ans plus tard rien n’avait été tourné. Par la suite, Terry Gilliam reprend la main et travaille au développement d’un scénario pendant deux ou trois ans, sans qu’aucune des versions ne parvienne à convaincre quiconque. On sait tous ce que signifie un projet pour lequel travaille Terry Gilliam !… Le résultat ne se fait pas attendre : le projet s’enlise encore plus…
Finalement, près de 10 ans plus tard, Jane Goldman, scénariste de Kick-Ass, Kingsman et La Dame en noir, qui se passionne aussi pour le roman de Peter Ackroyd, permet de relancer le projet et accepte d’écrire une autre version du scénario.
En partant de ce scénario solide et moins ambitieux que le roman lui-même, le projet trouve un nouveau souffle. Il ne manque plus qu’un réalisateur.
C’est l’auteur du roman lui-même qui parle du jeune cinéaste Juan Carlos Medina au producteur.
Ce dernier a réalisé un premier long-métrage, Insensibles, dont la complexité semble l’avoir préparé aux défis de The Limehouse Golem.
Entre music hall, fantastique, horreur et proto féminisme
Cette mise en production longue et laborieuse a pour effet d’avoir un produit fini un brin imparfait, mais tellement plus riche que la plupart des adaptations de romans fantastiques actuels.
Avec un budget somme toute assez riquiqui, Juan Carlos Medina parvient avec maestria à retranscrire l’ambiance nocturne du quartier ouvrier de Limehouse à la fin du 19ème siècle, entre ruelles obscures et cabaret grouillant de monde, le tout avec des accents baroques anticipant les ambiances burlesques contemporaines.
L’autre point fort sur le plan visuel de The Limehouse Golem est la manière de retranscrire le mélange des sensations, des décors, des costumes et des événements entre un réalisme forcené et une esthétique proche du fantastique.
Comme nous l’a précisé Juan Carlos Medina, il a grandi avec des films britanniques de John Boorman, Alfred Hitchcock, Sally Potter, Derek Jarman et Neil Jordan. Comme il le dit lui-même, « le flamboiement baroque de ceux de Michael Powell et Ken Russell a littéralement infusé en moi quand j’étais enfant. The Limehouse Golem leur rend hommage. Je pense aussi que ce cinéma-là est profondément influencé, irrigué par l’œuvre de Shakespeare, ainsi que par le romantisme noir de Lord Byron, Mary Shelley, William Blake et Bram Stoker. » D’où la retranscription réussie d’un temps et d’un esprit qui semblent marquer cette ville et notre culture.
Autre belle réussite du film : la conduite du récit. Si la narration principale de The Limehouse Golem repose sur la recherche du Golem, le film ne se cantonne pas à cela. Non seulement, Juan Carlos Medina s’intéresse au passé de la jeune orpheline Lizzy (jouée par l’incroyable Olivia Cooke) et dépeint toute une galerie de personnages tantôt hauts en couleur, tantôt complexes voire secrets : l’impressionnant enquêteur de Scotland Yard John Kildare (génial Bill Nighy qui est parvenu à remplacer au pied levé le regretté Alan Rickman hospitalisé à peine trois mois avant le début du tournage ! Encore la poisse causée par Terry Gilliam ?), enfin le comédien Dan Leno est joué par l’incandescent Douglas Booth.
L’histoire est conduite avec un brio certain. Inspirée par les romans policiers du début du 20ème siècle, elle se focalise principalement sur l’enquête du commissaire et son acolyte, lui aussi bien incarné, et rythmée par des flashbacks horrifiques présentant les meurtres avec à chaque fois un suspect différent. Outre les habituels (usual) suspects, on a la chance de voir à l’écran un Karl Marx bigger than life !
Si le twist final est un peu surfait, je ne parle pas de la révélation sur le meurtrier mais de la scène finale qui semble arriver pour brouiller les piste, cela ne gâche pas le plaisir de la vision d’un film où le spectateur n’est jamais baladé ni pris en otage d’une narration qui aurait pu être artificiellement obscure.
Le gore de certaines scènes font de The Limehouse Golem, un film sans doute un brin difficile à voir pour les plus sensibles, mais l’esthétique, le propos féministe du film en font une très belle réussite.
Incontournable pour tous les fans de cinéma baroque, ce film laisse présager une belle carrière pour Juan Carlos Medina.