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Note de la rédaction :

Jack est un serial killer. Et pour cette raison, Jack est trainé aux enfers. Comme dans le Faust de Goethe, c’est  le poète Virgile, « Verge », qui l’accompagne dans sa catabase. Et il est autorisé à parler durant le chemin, alors comme tout ceux que l’on mène aux enfers, il va raconter son histoire, et chercher à justifier ses actes.

Le meurtre, qu’il soit unique ou dans sa forme la plus ignoble, celle du génocide, est un art. Voilà le postulat du tueur, « Mr. Sophistication », un virtuose de la mort. Il tue, mais le fait bien, affine son style, met en scène ceux qu’il mutile dans des photographies surréalistes, des statues de chair, et autres reproductions de chefs d’oeuvre de l’histoire de l’art en tout genre. Les meurtres allant du plus simple des étranglements jusqu’à l’élaboration la plus précieuse, servent donc l’art putride et pervers de celui qui les perpètre. La chair est sa matière de prédilection et bientôt les figures grotesques de ses victimes vont peupler sa chambre froide devenue musée des horreurs, bigarré et étrange. Écclétisme encore : la beauté d’un plan surréaliste et gracieux à la Tarkovski, cohabitant l’instant d’après avec une prise de vue à la go-pro, numérique et sale. Contrasté elle aussi, l’image du réalisateur est une matière organique avec laquelle il joue, superposant noblesse et vulgarité pour parvenir au burlesque qui salit la vie, le sacré, et tout le toutim.

Comme on l’attend de la part du persona non grata Cannois, la ligne morale du film, contrairement à celle du personnage – un abjecte salaud qui le restera – , est pour le moins ambiguë. En témoigne ce tableau aérien d’une famille massacrée, que Jack élabore seulement pour la caméra, l’oeuvre n’étant visible que depuis le point élevé qu’atteint le travelling révélant le morbide spectacle. C’est le réalisateur qui, complice, offre à « l’oeuvre » de Jack le point de vue qu’elle mérite, et qui finit d’esthétiser le massacre. Position ardue que celle du spectateur de The House that Jack built donc. Von Trier en profite aussi pour justifier de la violence de ses films au détour d’un des nombreux errements philosophique du duo : représenter dans la fiction la part sombre, pour la bâillonner, lui interdire qu’elle ne s’exprime dans la réalité. L’ironie se mêle au premier degré dans l’énigmatique discours du film, oscillant entre corps suppliciés et grâce artistique.

Et face à ça, Virgile, interprété par Bruno Ganz, de permettre d’intégrer un point de vue décent à un film pétri de mauvaises intentions. Matt Dillon lui, divorce de sa figure de bad boy pour donner vie à un personnage melting-pot, vacillant sans cesse. Au delà du serial killer typique, incapable d’émotions et dévoré par son narcissisme, Jack emprunte partout et sans cesse de nouveaux caractères (son jeu semble évoquer par exemple Jim Carrey ou Bruce Campbell), pour forger une persona trébuchante et ubuesque. Le monstre est parfois ignoble, évoquant les « chefs d’oeuvre » que sont les Stukas, les fameux bombardiers allemands de la seconde guerre mondiale, qui lorsqu’ils piquaient émettait un son strident pour terrifier les futures victimes. Parfois il est drôle, torturant le corps de ses victimes jusqu’à un absurde puéril, et parvenant à tirer des rires à mi-chemin entre réel amusement et nervosité. Oscillations toujours.

The House that Jack Built, comme tous les films du réalisateur, met ses spectateurs à l’épreuve. Apreté visuelle des scènes les plus gores, beauté de certaines images, flottement dérangeant du propos : le long-métrage sadique joue avec nos nerfs et notre morale. Certains sortent de la salles, d’autres choisissent d’éprouver la cruauté.

the house that jack built-affiche

Réalisation : Lars von Trier
Scénario : Lars von Trier
Acteurs principaux : Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman, Siobhan Fallon Hogan, Sofie Gråbøl, Riley Keough
Genre : Thriller
Durée : 155 minutes
Sortie : 17 octobre 2018

Delarge

J’aime rappeler l’héritage des trésors qui façonnent encore aujourd’hui le cinéma, et en amateur de contre-culture et de psychédélisme qui fleure bon les 60-70’s, je révère bien sûr particulièrement le Nouvel Hollywood, et tous ses rejetons.

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