The Green Inferno de l’inénarrable Eli Roth (les très bons Cabin Fever et la « saga » Hostel) sort enfin en VOD le 16 octobre 2015 après biens des péripéties. Le film est en effet resté dans les tiroirs de son distributeur pendant plus d’un an et aucun studio n’achètera les droits, en raison de son contenu jugé trop explicite. Ceci est bien entendu excessif, tant le film et, finalement, très inoffensif puisque l’humour potache et constant annihile souvent l’effroi généré par l’horreur de scènes. Critique.
Alors, oui, ce film est un hommage aux films de cannibales italiens réalisés à la fin des années 1970 et au début des années 1980, mais le cinéma doit-il se réduire à rendre des hommages ? Non, bien sûr et d’ailleurs Eli Roth a écrit un véritable scénario mettant aux goûts du jour Cannibal Holocaust, le génial et encore très dérangeant film de Ruggero Deodato (1980 – croyez-moi, ce film est encore trèèèès dérangeant). D’ailleurs, pour ceux qui connaissent le film, on peut raisonnablement dire que The Green Inferno est un calque du premier avec ce zeste en trop qui fait les défauts des films post-modernes depuis le début des années 2000 : citations de films anciens, humour décalé, dérision constante… Rien ne nous est épargné pour que l’on comprenne que l’auteur maîtrise son sujet.
Premier choc en voyant le début du film, l’horreur et le dégoût devant… une image vidéo dégueulasse laissant présager un film cheap. Cette impression est accentuée lorsque l’on découvre le jeu de certains comédiens.
Passé ce constat effrayant, on assiste à une scène d’exposition bien trop longue (au moins 30 minutes) nous expliquant en détails le contexte du voyage de ces étudiants idéalistes dans la forêt amazonienne. Toutefois, soyons totalement honnêtes, cette plongée en douceur dans le quotidien de ces étudiants américains aura comme effet de nous rendre ce qui va leur arriver encore plus horrible, puisqu’on aura eu le temps de nous attacher – ou tout du moins – de mieux connaître ces jeunes gens qui nous ressemblent (pour la plupart 😉 ). Il en ressortira un malaise immense lorsque ces mêmes jeunes gens subiront ce qui va suivre…
Ceci étant, le film ne parvient pas totalement à nous convaincre. Car si Cannibal Holocaust de Deodato, qui empruntait les codes du documentaire (on peut dire qu’il s’agit, après les films de Peter Watkins, du pionnier des found footage dans le domaine de l’horreur à la Blair Witch et REC…) pour proposer quelque chose de neuf, à savoir une critique des médias incroyablement violente, où le spectateur était littéralement pris à partie et amené à s’interroger sur sa propre tendance au voyeurisme, qu’en est-il de ce Green Inferno ? Que nous dit-il de nouveau ? Et bien, pas grand chose… Hormis les qualités de cinéaste que l’on connaissait déjà de Eli Roth, il n’en ressort qu’un discours éculé et parfois un peu réactionnaire renvoyant dos à dos les grandes compagnies, les militants et nos gouvernements. Finalement, contrairement aux chefs-d’oeuvres du cinéma d’horreur militant des années 1970 (George Romero et consorts), du cinéma jusqu’au-boutiste et inventeur de formes des années 1980 (Sam Raimi, Deodato…), il ne ressort pas grand chose de ce film.
Et si, à certains courts instants, le discours sur les limites de l’activisme vert peut faire mouche, il est aussitôt contrebalancé par une grosse blague potache des familles. Tout y passe : de la scatophilie la plus crasse, au gros gag mille fois vu.
Ne sachant jamais sur quel pied danser, en mêlant horreur, gore, discours pseudo-politique (qui on le sent ne l’intéresse guère) et humour potache, le réalisateur ne parvient qu’à de très rares moments à créer une ambiance synonyme d’effroi et de malaise. Ces deux éléments étant les clés, pour moi, d’un bon film de cannibale « à la sauce italienne » 😉
Encore une fois, le réalisateur de Cabin Fever rate l’occasion de convaincre pleinement et contrairement à Deodato, il ne propose que trop superficiellement un regard sincère sur ce qu’il filme et ne parvient donc pas à cueillir le spectateur.
Un dernier symptôme de ce manque de subtilité dans la réalisation de Roth est le choix de la musique. Alors que Deodato et son compositeur attitré, Riz Ortolani, avaient eu l’idée géniale de créer une ambiance dérangeante et subtile par l’utilisation d’une musique douce, mélodique, sublime et presque onirique, sur des images terrifiantes, parvenant à créer un décalage encore plus effroyable que l’atrocité seule des images, Eli Roth a choisi de réduire une fois encore le spectre des possibles en utilisant une bande-son banale, accompagnant simplement l’action à gros renforts de basses et d’instruments exotiques (si, si…).
Pour conclure, je ne voudrais pas non plus descendre totalement ce film qui dispose de réelles qualités, grâce notamment à une mise en scène efficace. La volonté du réalisateur de ne pas simplifier le discours en choisissant de ne pas présenter les jeunes américains comme de gentils idéalistes, d’un côté, et les autochtones, comme des sauvages, est louable. Reconnaissons au réalisateur sa capacité à brouiller les pistes pour ne pas simplifier outre-mesure son propos : plusieurs scènes parviennent d’ailleurs à retranscrire la beauté évanescente de ce peuple vivant en autarcie, ses coutumes, ses peintures, y sont décrites avec un certain respect.
Enfin, il est à noter que Eli Roth a su mettre à distance, à certains moments clés, sa caméra pour ne pas tomber dans un voyeurisme qui est pourtant le fond de commerce de la plupart des productions de ce sous-genre : dans ce type de films, reconnaissons qu’il est beaucoup plus aisé de tomber dans le sordide.
Reste cependant une impression mitigée qui s’explique, peut-être, par le sentiment que l’auteur n’a pas su approfondir son sujet en questionnant la pertinence d’un tel film 30 ans après la vague italienne… Cela m’amène donc à reconnaître que je suis resté sur ma faim en attendant une éventuelle suite ?