The Florida Project de Sean Baker revisite la folie indomptée du Harmony Korine des débuts avec un cinéma social bien au-dessus de la mêlée. Critique.
A hauteur d’enfant
The Florida Project est sans doute l’un des films les plus grinçants de cette année. S’il bénéficie d’un unanimisme critique et d’une couverture médiatique occultant totalement sa singularité, nous nous devons de vous alerter sur le fait que ce film divisera le public au moins autant, si ce n’est plus, que Mother !
Passée cette mise en garde, le premier élément que l’on retient de ce film est sa limpidité presque naïve faisant à la fois écho à la narration menée de bout en bout par les jeunes acteurs (tous impressionnants) et par une mise en scène à hauteur d’enfant.
En effet, contrairement à son précédent film, Tangerine, qui reposait essentiellement sur son dispositif (un tournage réalisé à l’aide de smartphone), Sean Baker passe à la vitesse supérieure en posant sa caméra dans des décors incroyables pour nous faire partager la vie d’une communauté de laissés-pour-compte vivant en périphérie de Disney World, à Orlando.
Cette fois-ci les choix artistiques sont intéressants et servent concrètement la mise en scène : caméra à l’épaule mais toujours à hauteur d’enfant, grand-angle permettant de placer ses petites silhouettes dans ces décors improbables… Le parti-pris est clair et nous permet de suivre le point de vue iconoclaste des enfants sur la misère qui les entoure. Le résultat est particulièrement saisissant.
Une banlieue déshéritée rose bonbon
Sean Baker nous plonge dans l’envers du rêve américain avec, n’ayons pas peur des mots, une idée de génie : il refuse sciemment de montrer le décor de carton-pâte du parc Disney, pourtant son ombre est constamment présente à l’écran, dans les couleurs des murs de ces logements bas de gamme, dans le bruit des allers et venues des hélicoptères, dans les feux d’artifice égayant le morne horizon, dans les magasins d’outlets de produits Disney…
Un film c’est certes un scénario, mais c’est aussi un décor. Avec The Florida Project, Sean Baker l’illustre avec un brio indéniable.
La dichotomie est impressionnante : on sent la présence de Disney World dans le moindre détail de chaque plan, pourtant on ne voit le parc (quasiment) à aucun moment.
Pas de doute, nous sommes, au sens propre, à la périphérie du rêve américain. Le long d’une autoroute bordée de boutiques de souvenirs et de produits bas de gamme.
Dans ce cadre tout sauf idyllique, hormis peut-être pour les touristes égarés qui confondent le nom de l’hôtel, The Magic Castle, dans lequel toute une faune de déshérités a trouvé refuge, avec un hôtel de charme, les journées sont rythmées par les bêtises commises par ce groupe d’enfants livrés à eux-mêmes.
A l’ombre de Disney World, jamais très loin, Sean Baker nous livre l’un des témoignages les plus émouvants sur la lutte des classes dans nos sociétés des loisirs 2.0. Sociétés où les injustices font plus que jamais des ravages insidieux dès le plus jeune âge.
Ainsi, peu à peu, l’insouciance certes « bon enfant », mais éprouvante pour le spectateur, de la petite communauté se muera en désespoir à mesure que le réel reprendra sa place dans cette banlieue déshéritée rose bonbon.
Un moment déchirant, sans doute l’un des plus émouvants vu au cinéma en 2017, montrera dans un épilogue à la fois épique et éminemment violent la jeune Mooney (impressionnante petite Brooklynn Kimberly Prince) fendre l’armure.
Lors de cette dernière séquence bouleversante filmée à l’arrachée (et sans autorisation), les deux mondes se réunissent à nouveau, offrant une bouffée d’oxygène au spectateur tout en questionnant notre passivité face aux injustices de ce monde plus que jamais à deux vitesses.
Cette fin cruelle mais laissant une dernière fois les enfants maîtriser ce qui se passe à l’image, nous rappelle à quel point la capacité à faire passer un message repose aussi sur le regard porté sur les personnages.
Contrairement à The Square qui convoquait la figure du mendiant uniquement pour moquer notre veulerie et notre incapacité supposée à faire le bien autour de nous, Sean Baker ne chosifie jamais ses personnages. Au contraire, The Florida Project nous plonge avec respect dans leur vie, loin d’être toujours exemplaire.
La force de The Florida Project est de parvenir à nous faire dépasser nos visions bourgeoises, pour nous ouvrir à cette galerie de personnages, un peu esquintés, mais éminemment touchants et humains. Une leçon de vie : ne jamais montrer du doigt ni même plaindre. Le respect, le vrai, enfin. Bravo Sean Baker.