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The Assassin de Hou Hsiao Hsien – l’histoire d’un tournage

By 28 mars 2016novembre 28th, 2017Quoi de neuf doc ?

Note de la rédaction :

Ces derniers temps, on aime à parler du tournage rocambolesque de Jodorowski sur Dune ou plutôt du tournage qui n’a jamais eu lieu – d’où ce film documentaire nourri de nos fantasmes de cinéphiles… Il y a parfois des tournages qui ont lieu, mais qui ne se passent pas tout à fait comme prévu : le Don Quichotte de Terry Gilliam (devenu entre temps « Lost in la Mancha »), Apocalypse Now de Coppola (et « Heart of Darkness » le magnifique docu de sa femme Eleanor) et puis, oui, « The Assassin » la dernière splendeur de Hou Hsiao Hsien, récemment sortie dans nos salles.

On connaît un peu ce cinéaste taïwanais, primé à Berlin et Cannes, 7 fois invité sur la croisette. On se souvient par exemple de son magnifique « Goodbye South, Goodbye » (1996) l’un des plus beaux films des années 1990. On sait le Monsieur calme, perfectionniste, refusant les répétitions avant de tourner. À 68 ans il compte 18 longs métrages et une belle reconnaissance critique. Il y a quelques années, HHH se lance dans un projet colossal, le plus ambitieux de sa carrière : un film de wuxia c’est-à-dire de combat façon King Hu, film spectaculaire pour un cinéaste jusque là plutôt habitué à des petits mélodrames minimalistes. Le projet est financé en 2005, toute la préparation prend un temps fou (décors, costumes, recherches historiques) mais en 2010 débute le tournage sur trois pays, pour l’essentiel au Japon puis en Mongolie.

Qui a vu « The Assassin » peut imaginer le tournage de cet objet visuellement proche de la perfection. HHH donc, plus de soixante ans, passant des matinées entières à déplacer des bibelots sur le plateau, un fruit ici, une coupelle là, à imaginer les scènes sans caméra et à organiser une atmosphère ultra-précises. Le maître sait ce qu’il veut, ses jeux de caméras, en plan-séquence entre les drapées de soie sont étourdissants. Il utilise la couleur avec un sens du détail vertigineux rappelant Ozu, auquel il avait consacré un film hommage (« Café Lumière », 2003). Mais après un an de tournage, il est encore loin du compte. Les mini incidents se multiplient. Un jour l’actrice principale se prend un coup dans une scène de combat (elle n’a jamais joué ce type de scène auparavant) et s’en sort avec quelques contusions et un bleu au visage. Tournage repoussé. Plus tard, c’est HHH, à cran, qui donne un coup de poing dans une porte et se blesse. On décale tout. L’ombre de Clouzot et son « Enfer » commence à rôder autour du film. Finalement ce sont les finances qui auront le dernier mot. Plus un rond, on post-pone sans date fixe pour la reprise.

Fin 2012, l’équipe de production reçoit une rallonge du gouvernement. Les affaires reprennent. Du moins un temps, jusqu’à ce qu’une actrice quitte le plateau, agacée par les prises sans fin – « j’ai fait mon maximum, toutes mes scènes ont déjà été enregistrées X fois, adios les amis » ou quelque chose dans le genre. On touche au but et HHH croit avoir terminé quand il rappelle in-extremis son acteur principal, parti entre temps… se marier ! HHH doit encore faire des retouches : on annule la lune de miel pour rejoindre le tournage une dernière fois.

Nous sommes fin 2013 et l’équipe du film se montre optimiste pour Cannes 2014. Tout est dans la boîte, ne reste que des détails. Mais le diable se cache dans le détails. HHH à tourné deux fois plus de pellicule que sur ses autres films (trois caméras 35 mm en permanence, plus de 150 000 mètres !). Au moment du festival, seulement des bouts sont prêts. On se propose de les montrer pour attirer l’attention et trouver encore un peu d’argent. Le travail en post-production notamment sur le son est interminable : il faudra en réalité un an complet pour finir de peaufiner le bébé. « The Assassin » voit le jour pour de bon à Cannes en 2015. Hou Hsiao Hsien reçoit le prix mérité de la mise en scène. Son scénario date de 1989 ! Soit 26 ans de travail, souvent interrompu, parfois abandonné, mais aujourd’hui payant.

Tout est bien qui finit bien, « The Assassin » est d’une beauté à couper le souffle. Et encore dans vos salles : foncez ! Il n’y a que le grand écran pour rendre justice à un si beau film.

Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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