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Suspiria – Critique

By 20 novembre 2018Critiques
Note de la rédaction :

Les râles ténébreux accompagnant la douce comptine composée par les Goblin ont parfaitement capturé l’essence du cauchemar imaginé par le maitre du Giallo, Dario Argento. Suspiria, l’original, était un songe. Un rêve tumultueux où se mêlent à la danse tueur ganté, baroque et sorcellerie. Ses invraisemblances, ses accès de folie et son état second dans lequel il faisait diluer ses spectateurs. Une sensation unique saisie par un Argento impérial et qui permis au film d’être mis sur un piédestal. Bien souvent injustifié. Comme tout classique de l’horreur, il a eu ses copy-cat, ses disciples et dorénavant son remake. Un projet de longues dates qui trouve désormais le chemin des salles sous la direction de Luca Guadagnino.

Pas de côté

Par quel bout attraper ce remake de Suspiria ? Quelle est l’intention de Guadagnino pour ne pas copier Argento ? Comment se démarquer d’un film si emblématique ?

En se l’appropriant. C’est exactement ce que le réalisateur de Call Me By Your Name a décidé de faire. Un 180 degrés. Tournant ainsi le dos au désormais ronflant kit du remake/hommage fournit avec une grande partie des remâchées horrifiques contemporaines. Guadagnino, et son scénariste David Kajganich, ont préféré donner du corps à toutes les zones d’ombres du film de 1977.

Si le cadre conserve ses pourtours -Berlin/années 70- et sa trajectoire narrative-l’admission de Susie Bannion fraîchement arrivées des USA- son cœur est radicalement nouveau. A commencer par le fonctionnement de l’académie de danse Markos. C’est désormais une micro société féministe. Un havre de paix assurant une protection permanente pour ses élèves. Une organisation hiérarchisée où chacun a un rôle. Chaque danseuse est l’une des filles de l’académie, elles doivent trouver en leurs professeures, des mères de substitution. Loin de chez elles, en huit-clos, les danseuses doivent se plier à cet environnement pour espérer survivre.

Car à l’extérieur, l’Allemagne est en plein changement. Des divergences ont lieu au sein des idéologies politiques, avec l’apparition de groupuscules terroristes (La Fraction Armée Rouge surnommée La bande à Baader) crée un climat chaotique aux abords de l’école. Les professeurs mettant en garde qu’une fois séparées de l’école, et de sa protection maternelle limite venimeuse, les élèves sombrent dans la folie. L’école, sorte de couvent démoniaque, fait face au mur de Berlin comme pour repousser son influence. Si le doute planait encore durant les 20 premières minutes, la contextualisation permet de prendre conscience du gouffre qui sépare l’original du nouveau.

Avec son propos politique, Suspiria adopte un ton adulte. Penchant vers un drame paranoïaque qui conserve tout de même les appuis ésotériques d’Argento. Car ce noyau politique partage la lumière avec une mythologie plus explicite. Les 3 mères (Suspirium, Tenebrarum, Lachrymarum) les sorcières, leurs pouvoirs. La sorcellerie n’est plus macguffin, elle est désormais assumée et devient un motif du long-métrage. Ces deux mondes trouvent des résonances troublantes, notamment dans les divergences entre les membres de chaque organisation. Ils se croisent pourtant sans jamais s’effleurer, dû à un entremetteur qui peine à convaincre.

Valse des mères

Le personnage du Dr Klemperer, psychologue ayant suivi une des danseuse voulant échapper au contrôle de l’école, manque réellement d’intérêt. Campé par une Tilda Swinton grimée, idée complètement injustifiée puisque 2 hommes, 2 policiers, complètent le casting empêchant le film d’avoir entièrement un cast féminin, le Dr Klemperer sert de lien entre l’école et l’extérieur. Il rallonge le film avec une sous-intrigue anecdotique qui échoue à recoudre tous les tissus ensembles. Les éléments sont là, notamment cette connexion avec le Mal, mais manque d’exécution.

 

 

Le mal politique, le nazisme et l’extrémisme de manière général, et le mal sardonique qui ronge l’école. Un mal qui gangrène le symbole de la Mère. La mère patrie, l’Allemagne, que le peuple, désormais rongé par la culpabilité, a laissé aux mains des despotes. Du côté de l’école, c’est la relation entre Susie et Madame Blanc qui s’étoffe. Alors que la Mère Markos exerce toujours un pouvoir maléfique, Blanc tente d’y apporter un aspect plus humain. Elle exploite la faille de Susie, à savoir le rejet de sa mère.

Dance With The Dead

Pour cela, le film étoffe la back story de Susie d’une surprenante famille mennonite. Un courant anabaptiste protestant.Une déviation du courant Amishs. Dans la théorie, les idées sont présentes mais leur implantation dans le récit sont confuses. Certaines scènes sont réellement des parenthèses. Manquant d’instaurer une ambiance et même de créer une émotion. Des pauses maniérées qui maltraitent un film pourtant sur de bons rails avec des instants qui exploitent le malaise intelligemment. Tout cet exercice de style orienté art contemporain se conclut dans un final grand guignolesque qui rompt avec l’ambiance très austère vu précédemment.

Une cérémonie du plus mauvais goût qui incorpore un côté horrifique très bancal. L’effet de rupture voulu crée une scission sur l’avis que l’on se forge à mesure que le métrage se déroule. Suspria n’est pas un film d’horreur. D’ailleurs son seul meurtre baigne plus dans le maléfice et fonctionne comme métaphore plutôt qu’un réel moment cathartique. La métaphore du pantin, distille un propos sur la dévotion à une idéologie, à une personne. En résumé, aux torsions que l’on peut exercer sur un individu pour le convaincre. Brisant définitivement l’attachement sensorielle avec le conte bariolé d’Argento.

Les Amishs, La Bande à Baader, des sorcières. La religion, la politique et la mythologie. Ils cohabitent afin de donner une finalité inconsistante à un film qui tente de dire beaucoup sur notre époque : La remontée du Fascisme, le féminisme diabolisé via l’image de la sorcière.

Ténébreuse boîte à musique

Plastiquement, le film offre un écrin austère à son histoire. L’académie Tanz est composée de tons tertiaires. Gris, brun, vert de gris. Tout semble terni par la passé que les Allemands souhaitent oublier. Une profonde tristesse se creuse grâce à une lumière blafarde. Un voile blanc omniprésent qui semble absorber toutes les couleurs primaires. Cette photographie met également en valeur les textures. Les matériaux des décors sortent plus décrépis. Les pavés, les bois semblent être empoissonnés. Mais également les peaux qui ressortent pour donner un aspect très organique viscéral.

De bout-en-bout, le film conserve cette esthétique désabusée, intensifié par d’omniprésentes averses intenses et de la neige fondue glaçante. La mise en scène emprunte énormément aux années 70. Fondus enchaînés et quelques vertigineux mouvements de grue. Mais également des zooms très brutaux qui ne donnent pas dans l’exercice de style. Enfin, une utilisation assez virtuose de la longue focale, notamment lors des séquences de danses, qui permettent au film de construire un rapport entre les distance très ambiguë. Les rapprochements et les éloignements des personnages sont très troubles, soulignant avec beaucoup de talent leurs connexions.

Les séquences de danse sont brillantes. Par les performances des comédiennes d’une part mais aussi par les qualités techniques. Elles épuisent et enivrent avec une vraie rugosité. Ces scènes laissent une marque indélébile puissante, addition des talents techniques et artistiques. La B.O apporte une profondeur supplémentaire à chaque séquence. Amplifiant les sensations et donnant un timbre particulier à chaque apparition.

Ces qualités sont quelques fois peu misent en valeur à cause d’un montage brouillon. On brise les axes de manière injustifiée et répétée, rendant confuses les informations nécessaires à l’intrigue. Certains plans s’insèrent difficilement dans le rythme de la séquence. Notamment des insertions de plans en contre-temps qui viennent perturber sans créer le malaise désiré. Enfin les séquences de rêves paraissent bien sages et limpides pour réellement être dérangeantes. Si les images, prises individuellement, sont lourdes de sens, les séquences peinent à paraître angoissante. Il y a également des ralentis au montage qui font tendre le film vers le projet d’art vaniteux. Dernier clou à poser sur le cercueil des aspects horrifiques du métrage, le sang est principalement numérique. Dans un film qui s’évertue à montrer de nombreux fluides (urine, bave, vomi…), il est dommage de constater que l’hémoglobine n’est pas présente.

Suspiria hérite d’un bien étrange constat. Si la thématique touche de pleine grâce par ses métaphores et ses démonstrations visuelles, elle manque d’un réel fil rouge. Tout semble pendre au-dessus de nos têtes sans structure solide. Notre cerveau doit effectuer un remplissage pour cerner le propos mais aussi encaisser les écarts avec l’image de Suspiria. Le film de Luca Guadagnino, par son final bourrin et en total désaccord avec son pacte initial, rompt ses charmes instantanément. Le film s’embourbe dans les travers du film d’auteur auto-contemplatif  pour s’enliser dans de l’horreur au rabais Un constat salé, amer pour un film qui mérite tout de même votre attention. Car il réussit son pari en étant tout aussi radical que l’oeuvre dont il s’inspire.

Keyser Swayze

Biberonné à la Pop Culture. Je tente d'avoir une alimentation culturel saine et variée, généralement composée de films qui ne prennent pas leurs spectateurs pour des cons. Carpenter, Wright et Fincher sont mes maîtres.

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