Strictly Criminal signe le retour en grande forme de Johnny Depp, qui incarne James « Whitey » Bulger, un petit délinquant New-Yorkais qui, grâce à l’appui du FBI, va régner en maître sur le milieu dans les années 80/90.
Alors c’est l’histoire d’un mec comme vous et moi, sauf qu’il est pas du tout comme vous et moi , puisque c’est un gangster en fait. Sauf si vous qui lisez ces lignes êtes un gangster, là il sera davantage comme vous que comme moi. Alors bien sûr me direz-vous on pense aussitôt au formidable tube de Stomy Bugsy « mon papa à moué est un gangster », qu’il chante avec cette merveilleuse voix de balai à chiottes qui a fait sa réputation actuelle, c’est à merdique et inexistante, les gars, fallait pas dissoudre le Ministère Amer.
Mais ceci n’est pas une critique de rap. Reprenons depuis le début. Black Mass, c’est le dernier bébé de Scott Cooper, acteur réalisateur qui a commencé à se faire une ch’tite réputation dans la nébuleuse hollywoodienne avec d’abord Crazy Heart, bio d’un chanteur de country interprété par mister Big Lebowksi, puis avec Out of the Furnace, un très bon drame sur des bouseux du sud des Etats-Unis pleins de testostérones qui valait son pesant de cacahuètes, grâce à une bonne mise en scène et une superbe performance de l’ami Woody Harrelson et de Christian Bale qui commence à me taper sur le système à se prendre pour le nouveau Bob de Niro. Je sais pas si vous avez écouté cet enregistrement où il se met à insulter un technicien de l’éclairage qui a eu le malheur de faire des tests pendant que monsieur se mettait dans son personnage, mais ça en dit sur le melon mahousse de cet acteur.
Les affranchis
Alors mettons les pieds dans le plat sans gants en peau de chevreau, les gars. Est-ce que c’est un bon film ? Et bien oui, malgré la théorie d’Etienne que le genre du film de gangster reste à réinventer et que ca va être vachement dur puisque tout à été dit. Précisons :
Premièrement, avec le glamour et la maestria de Goodfellas et Casino, Scorsese a mis la barre très haut. Segundo, le film de mafieux sans fard ni trompettes, au plus proche de la réalité crasse avec Gomorra, œuvre existentielle de Matteo Garrone, qui comme Sergio Leone en son temps pour le western, démystifie le genre. Et j’ajouterais pour ma part un troisième courant tout aussi important, la folie ultra violente, barge et poétique des films de yakuzas japonais avec en tête Takeshi Kitano, citons par exemple Sonatine, et Takashi Miike, voir l’anarchique Deadly Outlaw, réalisateurs qui eux-même reprenaient les idées de Kinji Fukasaku qui avait repris Scorsese, bref on tourne en rond depuis une bonne trentaine d’années, ou le principe de faire du neuf avec du vieux.
Dur de faire mieux ou de renouveler tout ça. Un bel exemple en est Killing them Softly, sorti en 2012, qui arrive certes à instaurer une ambiance mais souffre de la comparaison et s’oublie finalement bien vite.
Heureusement, Strictly Criminal bénéficie de plusieurs atouts.
- Dans le cochon, tout est bon
Tout d’abord, un scénar servi sur un plateau d’argent, car la véritable histoire de James « Whitey » Bulger est carrément incroyable.
Ensuite, le Cooper sait filmer, et s’il ne renouvelle rien, il sait instaurer des plans de violence au bon moment, déroule le reste de son histoire sans se presser, avec maitrise, on peut toujours sentir une espèce de lame de fond qui fait vibrer même les scènes les plus banales, et on ressent une tension du début à la fin, ce qui nous scotche à l’écran. Le choix des couleurs du film, qui reprend pas mal la chromatique automnale de Out of the Furnace mais cette foi-ci avec un décor de ville en arrière-fond, style carte postale écornée et grisounette ajoute au côté tragédie, no way back. Un peu comme Takeshi Kitano, il distille les scènes de violence brutales, courtes et sauvages au compte goutte, ce qui les rend plus percutantes, comme par exemple la scène ultra badass où Johnny Depp shoote une balance avec un fusil à pompe. Grand moment.
- Donnie Brasco is back
Parlons de Johnny Depp, justement. Ben mon gars, on le croyait fini, devenu une parodie de lui-même entre son capitane machin de Pirates des Caraibes et le dernier bide retentissant que fut Mortdecai où, parait-il (je n’ai pas osé voir ce fiasco pour m’en assurer) il surjouait constamment.
Non, le voilà revenu en toute sobriété, rendu super moche, chauve, visage granulé, dents pourraves et yeux bleus délavés ultra-flippants. Chapeau, Johnny ! Avec cela une voix grave et monocorde menaçante et une présence infectieuse, chaque scène en sa présence distille un venin putride qui touche tout le monde. Voir deux scènes de dialogues très réussies, celle avec son fils et celle où il menace un type du FBI qui a eu le malheur de trahir son secret de famille sur sa recette de steak grillé (scène qui rappelle d’ailleurs furieusement celle de « you think I’m funny ? » de Joe Pesci dans les Goodfellas).
Ses petit camarades de jeux sont tout aussi bons : on a là le Kevin Bacon des familles, mais aussi Benedict Cumberbatch qui s’est fait un nom l’année dernière avec The Imitation Game, Rory Cochrane, Peter Sasgaard, et surtout mention spéciale à ce diable d’australien, Joel Edgerton, qui nique tout dans son rôle de flic pourri aux racines irlandaises. Ce mec est tellement cool, il a une présence incroyable, et la seule raison pour laquelle il ne vole pas la vedette à Johnny Depp est qu’il doit jouer l’intimidation dans les scènes qu’il partage avec lui.
Pour finir, parlons des rôles féminins. Malheureusement, et c’est souvent le cas dans les films de gangsters, ciné viril par excellence, les femmes ont des rôle à peine ébauchés, elles ont en gros juste le droit de fermer leur gueule et d’avoir peur de leurs hommes tout en nourrissant un désir sexuel sous-jacent pour leurs grosses couilles de machos… là, tiens, y’aurait tout de même quelque chose à renouveler, on attendra sûrement encore longtemps en supportant ce genre de clichés. Mesdames, à vos caméras !
En résumé, rien de nouveau sous le soleil noir des gangsters mais une belle direction, de bons acteurs, un sacré bon moment.