Snow Therapy est le dernier long-métrage de Ruben Östlund, réalisateur suédois qui commence à se faire un nom dans la comédie grinçante…
Cris et chuchotements à 2000 mètres d’altitude
Tomas, un jeune cadre surchargé de travail, trouve enfin le temps d’emmener Ebba, sa femme et leurs enfants, Vera et Harry en vacances aux sports d’hiver. Ils décident d’aller dans les Alpes, pour notre plus grand malheur (je vous laisse imaginer l’image qu’ont les Suédois des Français…).
Ils sont là pour 5 jours, ce qui semble peu pour renouer des liens distendus et assez pour ruiner définitivement son couple. Optant pour la deuxième solution, je ne fus pas surpris de la tournure que pris le film, mais il n’en demeure pas moins que ce film est une réelle réussite formelle et narrative.
Au début, donc, tout à l’air de se passer pour le mieux. Ce n’est qu’apparence. Une avalanche programmée prend des proportions incontrôlables et manque de tuer toute la famille, attablée à un restaurant panoramique. Nos deux tourtereaux ont un comportement complètement différent lors de la catastrophe. Quand l’avalanche finit par arriver arrive sur les siens, Ebba pensent en premier à ses enfants. Tomas, lui, pense avant tout à prendre la poudre d’escampette et détale tel un cabri.
Finalement, l’avalanche s’arrête avant d’atteindre la terrasse du restaurant où la famille était installée. Les dégâts matériels sont donc minimes. Par contre, les dégâts semblent irréparables dans la vie de cette famille.
Qualités :
Étude psychologique / Mise en scène / Dialogues / Humour grinçant
Défauts :
Un certain cynisme / Dispositif (parfois) systématique / Un certain « déjà vu »

Mécanique de la chute d’un couple en terrain miné
Il n’y a rien de plus classique que les histoires de couple au cinéma. Et pourtant Ruben Östlund réussit le tour de force de renouveler (un tout petit peu) le genre. Contrairement à son glorieux aîné Ingmar Bergman dans Cris et Chuchotements (1972), qui privilégie une mise en scène austère tout juste rehaussée par une lumière naturelle et des tonalités rouges (elles, exécutées en post-production), Ruben Östlund n’hésite pas à utiliser un dispositif très voyant dans sa mise en scène.
Dans Snow Therapy, Ruben Östlund s’appuie sur la métaphore de la mécanique pour souligner son discours. La mécanique des machines sensée mettre en perspective la mécanique du couple. Quelle mécanique me direz-vous ? Dans le film, tout transpire le contrôle, la sécurité, la mécanique bien huilée. Cette sensation est caractérisée par les rouages des remontées mécaniques, plusieurs fois filmées en gros plan, le bruit mécanique des brosses à dent électriques de la famille, la mécaniques, enfin, des explosions déclenchées volontairement pour prévenir les avalanches.
Les nombreuses scènes montrant la famille alignée devant le miroir de la salle de bain, chacun avec une brosse à dent électrique, illustrent à la fois cette sensation de contrôle et de vie aseptisée. Les êtres se retrouvant côte à côte sans avoir la nécessité de bouger (la mécanique ayant remplacé les corps), tels des automates désarticulés. Ils ne se regardent pourtant pas pour autant.
Pourtant, on sait bien que toute mécanique, aussi bien huilée soit-elle, est très fragile et un grain de sable suffisant parfois pour l’enrayer. Les gros plans sur les poulies des remontées mécaniques l’illustrent bien : de loin tout semble calme et sophistiqué, de près les mécanismes s’entrechoquent et font un bruit inquiétant. La mécanique est le dernier symbole hérité de la « vie moderne », cette vie rêvée par nos aînés lorsqu’ils se sont mis à imaginer le futur. Néanmoins, nos ancêtres savaient bien que dans toute mécanique, le point de rupture n’est jamais loin.
Les explosions permanentes, sécurisant la station de ski en provoquant les avalanches, font parti de ce confort apparent : ce bruit constant devenant oppressant la nuit tombant. Lorsque la fameuse avalanche atteint (pour de faux) la famille, il n’en faudra pas plus pour fissurer un peu plus le verni de cette vie familiale parfaite.
La famille dépeinte par Ruben Östlund est une famille post-moderne, elle en a tous les attributs technologiques et culturels. Elle ne sait pas ce qui se trame autour d’elle pour que tout fonctionne. Lorsque Tomas prend la poudre d’escampette croyant sa dernière heure arrivée, c’est tout son monde qui s’effondre tel un château de carte.
“J’ai été inspiré par les études qui sont faites sur les détournements d’avion. La taux des divorces est très forte chez les couples qui en sont victimes. Je suis plus intéressé par le dilemme qui suit, comment les personnages vont réagir, en bien ou en mal, je suis moins dans le jugement de mes personnages.”
Ruben Östlund
Snow Therapy de couple
La scène où tout bascule est tout simplement l’un des plus grand moments de cinéma vérité qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps. Il s’agit d’un dîner entre la famille et un couple d’amis suédois, venus leur rendre visite dans la station de ski.
Les fissures deviennent des crevasses béantes et il n’est désormais plus possible de sauver les apparences ni pour Tomas, démasqué pour de bon, ni pour les autres invités qui en sont quitte pour de longues discussions sur ce qui fait un bon père de famille.
La réalisation de Ruben Östlund, déjà salué par la critique pour un autre film dérangeant sur des garçons pris en otage (Play), continue d’appuyer là où ça fait mal en atomisant notre image de la famille post-moderne par excellence : les bobos…
Alors, oui si vous allez voir ce film, une grande question va vous tarauder : est-ce que j’aurais agi de la même manière ? Certains se demanderont : est-ce qu’avoir peur fait forcément de vous un mauvais père ? N’est-ce pas là, justement, l’évolution naturelle nos sociétés post-modernes ? Enfin, d’autres, plus sournois, se demanderont si Ebba ne surréagit pas en incriminant Tomas ? N’est-ce pas une manière de lui reprocher son comportement passé ?
Toutes ces questions vont vous faire passer de longues et animées soirées qui, pour certains, ne s’achèveront qu’une fois le sommeil trouvé. Un petit clin d’oeil à une autre scène irrésistible du film que je vous laisse découvrir…