Adaptation de l’œuvre éponyme de Shusaku Endo, Silence est le dernier, et très personnel, film de Martin Scorsese.
Introduit en Japon en 1549, le christianisme y a été interdit par le shogunat Tokugawa de 1614 à 1853, entraînant une répression féroce contre les chrétiens, traqués à travers tout l’archipel. Se saisissant de cette tragédie et de la tentative de deux prêtres de retrouver leur mentor dans ce pays, Martin Scorsese entreprend d’aborder le thème de la foi et surtout de ce qui la questionne.
Dans cette entreprise, adaptation du roman Chinmoku (Silence) de Shusaku Endo, il accouche d’un film étonnamment sensoriel, où la forme et le fond se confondent entièrement et où la mise en scène, brillante, est le parfait reflet du scénario et des émotions des personnages, les exprimant plus encore que les dialogues, qui se raréfient au fur et à mesure de l’écoulement du récit. Si ce parallélisme entre le récit et sa mise en scène est une caractéristique de l’œuvre scorsesienne, il est ici poussé à son paroxysme.
Alors qu’on l’attendait solennelle, voire sentencieuse, elle est d’abord enfiévrée, rappelant en cela La Dernière Tentation du Christ, en écho à l’exaltation de la mission des pères Rodrigues et Garrpe, des rencontres avec ces communautés chrétiennes isolées, qui expriment à l’arrivée des représentants de l’Eglise une incroyable ferveur ancrée dans une foi simple, et à la tension de la clandestinité. Cette quasi folie doit notamment beaucoup au montage, déroutant dans les premières minutes mais qui prend peu à peu tout son sens.
Passé ces premiers contacts avec les chrétiens locaux et la vision des persécutions, cette énergie initiale laisse la place au questionnement, sous la forme d’une mise en scène d’un total dénuement, synonyme ici non de contemplation mais de néant, de ce silence, qui donne son nom au film et s’exprime aussi bien dans le rythme que dans la raréfaction des dialogues et des sons, ainsi que dans l’absence de musique. Si de réelles épreuves, à travers des mises en scènes sadiques et des tortures psychologiques attendent les personnages, la principale tient d’abord à leur vaine recherche d’un signe du Dieu qu’ils vénérant face aux tourments qu’endurent ses ouailles.
Éprouvante, l’histoire le devient également pour le spectateur à travers la mise en scène, non car elle serait défaillante mais parce qu’elle nous amène à partager les sensations et interrogations des deux prêtres. A travers ce dispositif, Scorsese, qui signe là un film très personnel, prend d’ailleurs un risque considérable. Silence est en effet constamment sur le fil du rasoir et, prises individuellement, les scènes peuvent inspirées quelques réserves, dans leur forme ou leur contenu. Or, c’est dans son entièreté que le film atteint son point d’équilibre. Certains personnages sont d’ailleurs à cette image, tels que l’inquisiteur Inoue, subtil et cruel, qui flirte avec la caricature sans jamais y tomber, ou Kichijiro, dont les interventions, par leur récurrence et leur excès, ont un caractère pathétique et burlesque mais dont le rôle ne peut être mesuré que sur l’intégralité du film.
A cette mise en scène particulièrement réussie il convient d’ajouter une photo magnifique et une excellente direction d’acteurs, Scorsese tirant le meilleur de ces comédiens. Liam Neeson nous rappelle que, lorsqu’il n’essaye pas de sauver sa famille bêtement tombée entre les mains de ravisseurs, il reste un grand acteur, Adam Driver, enlaidi, est comme d’habitude parfait et Andrew Garfield, dont on pouvait craindre la prestation, est très bon, bien qu’on ne peut s’empêcher de rêver à celle qu’aurait livré Leonardo DiCaprio dans le même rôle. Yosuke Kobuzuka et Issei Ogata, interprètes respectifs de Kichijiro et Inoue, ne sont par ailleurs pas en reste.
Exigeant et déroutant, Silence n’est fait pas moins partie de ces œuvres rares, entières et magnifiques, qui poussent le spectateur dans ses retranchements pour lui faire vivre une expérience unique, qui touche là au spirituel.
PS : amis quinquagénaires, je sais que vous avez tendance à vous tromper de séance voire de cinéma et que, excités comme des nourrissons sous crack à l’idée de votre sortie mensuelle, vous avez du mal à rester calmes et silencieux tout en conspuant une jeunesse malpolie mais de grâce, pour ce film plus que pour tout autre, fermez vos putains de gueules jusqu’à votre sortie de la salle. Le prochain que j’attrape en train de ricaner pendant une séance – et à ça inclut le générique de fin -, aura droit à un moment à côté duquel les sévices subis par le pauvre Théo auront l’air d’un massage californien.