Tous les six mois ou presque, notre ami coréen revient donner signe de vie. Mais les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Hong Sang-soo semble moralement marqué, son cinéma en manque d’air.
Le cinéma de HSS est souvent joueur, plein de malice. Il avance en puzzle, reproduit des épisodes et dessine d’infimes variations, de scènes en scènes, de films en films. D’hommage à Buñuel en rêveries Rohmeriennes. Qu’il soit dans le drame, dans la pure comédie, son œuvre extrêmement cohérente se compose comme un tout, et l’ensemble vu de loin est déjà vertigineux.
Un film, donc, n’est qu’un simple épisode chez HSS et en voyant ses deux ou trois productions annuelles, on prend goût au jeu, à ces compositions ludiques et à sa famille d’acteurs que l’on retrouve avec plaisir. Parmi eux, la célèbre Kim Min-Hee qui a rejoint la troupe sur le tard, puisqu’elle apparaît pour la première fois chez Hong Sang-soo dans Un jour avec, un jour sans tourné en 2015.
L’histoire du film est l’histoire de leur amour plus ou moins clandestin qui a suivi ce tournage. Malgré la presse coréenne. Malgré le mariage de HSS. Malgré la différence d’âge, 24 ans, ce n’est pas rien. Mais à sa manière, HSS raconte cette relation sans la traiter de front. Il aurait pu en faire une comédie loufoque. Faire rejouer les scènes dans trois versions différentes. Il a préféré en faire un film foutrement triste et solitaire, un film où l’amour est un poids secret que l’on porte avec soi, comme une condamnation. Un secret qui ne raconte pas, ou se partage sans succès.
Donc dès le début, dans une ville européenne, plutôt grise, on sent que le ton n’y est pas. Il y a une futilité, un bruit de fond, les gens parlent mais au fond, on sent que Kim Min-Hee fait simplement bonne figure à défaut d’autre chose. Le temps passe. On apprend quelques détails sur la relation qu’elle aurait avec un homme plus âgé. On comprend que le film s’offre assez ouvertement, généreusement, sans fausse pudeur : HSS filme l’amour contrarié qu’il entretient avec son actrice fétiche et muse, il en fait une fiction à peine fictionnelle où elle joue son propre rôle. Lui aussi : il la filme, il la regarde, triste et perdue. Il la regarde avec mélancolie, comme si elle ne lui appartenait déjà plus.
Alors c’est étrange pour le spectateur d’être pris en sandwich de la sorte, dans une fiction qui en est à peine une, très directe et curieuse, qui manque cruellement de distance et d’humour. En sandwich donc entre le réel écrasant, une actrice jouant elle-même et puisant dans sa propre expérience la force de rejouer la vie. Pour une fois, pas de jeu, hormis un étrange nettoyeur de vitre (qui passe, le temps d’un sourire). Pas de jeu. Plus de distance. Ce qui faisait la force du cinéma malin et improvisé de HSS est prise de court. Le jeu a été étouffé par la vie. Et l’inspiration de l’auteur-scénariste est au plus bas.
Fallait-il faire de film ? Est-il seulement destiné à eux deux, aux acteurs de cette histoire amoureuse et personnelle ? Il y a quelque chose d’insatisfaisant à la regarder singer la vie. Que le drame intime les ait affecté ne garantie pas un film touchant. On dirait même plutôt que l’énergie des concernés a été sucée (par les vampires de la presse) et qu’il leur restait à peine la force de se remettre en scène pour se raconter.
Dans une veine très réaliste et minimaliste, HSS n’est sans doute pas à son meilleur. Lui qui est capable d’excès mémorables (et pas seulement une bouteille à la main). Où est passée l’humour mordant et décalé de ces petits films qui semblent de plus en plus rares ces dernières années. La source se tarit-elle ? HSS avoue lui-même mettre un temps fou à écrire ses scènes le matin, avec le tournage là où il lui fallait moins de deux heures, il y a quelques années, pour jouer avec les pions de son échec cinématique.
Seule sur la plage la nuit est sec et légèrement amer. Le magnifique Haewon et les hommes (2013) l’était mais avec plus d’élan créatif, dans un jeu dramatique en résonance avec ses thématiques habituelles. Ici malheureusement HSS tourne à vide, sur une ligne scénaristique volontairement simple et épurée au possible, règle peut-être quelques comptes en passant, veut exposer ses souffrances. La nécessité d’un tel film, louable pour son auteur, ne saute pas aux yeux pour un spectateur français moins aux faits des coulisses.