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Realite-Quentin_Dupieux
Note de la rédaction :

Réalité est le sixième long-métrage de Quentin Dupieux. Il est encore une fois tourné autour de Los Angeles, mais cette fois-ci avec un casting franco-américain.

Musique électronique, cette mal aimée

Tout d’abord, avant d’entrer dans la critique du film, je tiens à signaler que Quentin Dupieux, également connu sous le pseudonyme de Mr Oizo, célèbre producteur et compositeur de musique électronique français, n’a pas souhaité composer lui-même la musique de son dernier film. Il a préféré utiliser une boucle de Music With Changing Parts du célèbre auteur de musique contemporaine Philip Glass. Il s’en explique en disant qu’il a réalisé Wrong Cops pour en finir avec la musique ! En effet, pour Dupieux, autant il a le sentiment de savoir écrire un scénario, autant il pense maîtriser le cadre, être un bon directeur d’acteur et un bon monteur, autant il se trouve « nul en tant que musicien » (voir la source de l’interview ici). Il ajoute avoir été satisfait de sa collaboration avec Gaspard Augé sur Rubber.

En fait, selon lui, sa musique enferme ses films dans une certaine ambiance et les empêcherait d’être universels. Soit, mais cela veut-il dire qu’il n’assume pas sa musique ? Considère-t-il que sa musique n’est pas faite pour être dans des films ? Je suis resté perplexe en lisant toutes ses interviews sur cette question, n’étant jamais tombé sur un journaliste l’ayant relancé à ce sujet. Affaire à suivre…

En attendant, et pour protester, je vais ponctuer cette critique de quelques vidéos Youtube de morceaux illustrant, à mon sens, mon propos (à vous de deviner pourquoi et renouer les fils….).

L’histoire en bref

Jason (Alain Chabat, qui fait du Alain Chabat brillamment), un caméraman doux, gentil, voire candide, rêve de réaliser son premier film d’horreur. Bob Marshal (Jonathan Lambert qui retrouve Quentin Dupieux après son rôle tordant dans Steak et s’en sort relativement bien ici), un riche producteur, accepte de financer son film à une seule condition : Jason a 48 heures pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma. Passée la joie initiale, Jason commence à douter au cours de ses recherches et se met à faire des rêves de plus en plus réalistes…

Qualités :

Humour / Références / Distribution / Discours sur le monde du cinéma / Témoignage personnel (et touchant) de Dupieux / Surréalisme léger

Défauts :

Concept casse gueule car déjà vu / Fini par tourner en rond / Un peu plus classique qu’avant / Manque léger d’ambition sur les dernières minutes

Mise en perspective critique

Premier constat : le résumé de Réalité ne rend pas hommage à l’originalité du film et à la qualité de défricheur de Quentin Dupieux. En effet, le script du film est de facture plutôt classique (pour un film de Dupieux) et relève, à y regarder de loin, d’un cinéma d’auteur à la papa digne des meilleurs films de l’âge d’or du cinéma français.

On pense d’emblée à L’Année dernière à Marienbad, le chef d’oeuvre d’Alain Resnais (qui lui a vallu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1961). Dans ce film, dont le scénario et le découpage sont d’Alain Robbe-Grillet, lui-même inspiré du roman fantastique L’Invention de Morel de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares, un homme rencontre une femme et tente de la convaincre qu’ils ont eu une relation l’année précédente à Marienbad. Tout comme Réalité, L’Année dernière à Marienbad traite de la perception de la réalité et des points de vue des personnages. Ces derniers se questionnent sans cesse pour savoir s’ils mentent, s’ils ont oublié ou, tout simplement, s’ils se trompent. Dans Réalité, le spectateur, tout comme le personnage principal, se demande peu à peu s’il voit la réalité ou s’il voit les choses à travers les yeux d’un personnage qui ne va pas bien. En effet, il y a une mise en abîme très profonde (dans tous les sens du terme) dans ce film.

Tout cela pour dire qu’il s’agit donc d’un procédé narratif qui est devenu assez classique aujourd’hui. D’ailleurs, si on extrapole un peu, Akira Kurosawa (promis après j’arrête avec le namedropping) a magnifié ce type de narration dans Rashômon (1950). Dans ce chef d’oeuvre hallucinant de justesse (qui a lui aussi remporté le Lion d’or à Venise en 1951, tiens tiens…), Akira Kurosawa raconte un crime vu à travers quatre témoins, y compris celui qui l’a perpétré (et le fantôme du défunt, convoqué par un chaman). Ici, nous nous éloignons un peu du film de Quentin Dupieux, mais l’idée demeure assez proche puisque l’auteur s’interroge sur la perception de la réalité et la notion de point de vue : qui est ce personnage ? Est-il sincère ? Ce qu’il dit avoir vécu concorde-t-il avec d’autres témoignages ? N’y a-t-il pas plusieurs réalités possibles ?

Enfin, si on s’intéresse aux dernières décennies, David Lynch a lui aussi abondamment traité le sujet dans ses deux chefs d’oeuvres : Lost Highway et Mulholland Drive.

Donc, pour conclure cette partie, je dirais que le scénario de Réalité n’est pas très originale, si on le met en perspective avec l’histoire du cinéma en général. Reste donc le traitement de cette histoire.

“C’est simplement le scénario que j’ai le plus travaillé. Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou une mauvaise chose. Pour certains spectateurs ce sera super, parce qu’ils vont sentir le travail et ils n’auront plus l’impression que je me moque d’eux (pour certains c’est le cas !). Et pour les autres qui aiment mes films plus instinctifs, ce sera peut-être une déception de voir que le film est ficelé, même si on est loin des ficelles traditionnelles…”

Quentin Dupieux

Surréalisme et bonne santé mentale

Ce qui est bien avec les films de Quentin Dupieux, c’est sa volonté de nous transporter dans un ailleurs en tout point réaliste. Je m’explique : contrairement à de nombreux réalisateurs, il n’utilise pas les effets spéciaux pour nous faire perdre pied avec la réalité. Tout se passe dans un ailleurs du quotidien : un pneu tueur, un flic dealer cachant sa drogue dans des rats morts et ici, dans Réalité, un homme présentant une émission de télévision déguisé en rat géant (tiens encore un rat…). Le petit détail qui fait mouche, c’est que personne ne trouve cela étrange. Ainsi, le décor est normal (on pourrait presque être dans un film des frères Dardenne), les personnages agissent de façon normal, ou du moins s’expriment normalement, et pourtant il y a toujours un détail qui cloche faisant basculer le film dans un ailleurs surréaliste.

Reconstruire le réel

Les surréalistes employaient cette technique pour sublimer le réel. Dans L’Age d’Or de Luis Bunuel (1930), une vache fait son apparition dans un intérieur bourgeois et personne n’y trouve rien à redire, dans une autre scène, une femme retrouve la vache sur son lit et, au lieu de crier ou de trouver cela étrange, elle paraît excéder et lui ordonne de déguerpir. C’est exactement cela le surréalisme : faire surgir l’extraordinaire dans une scène du quotidien. Et c’est en cela que Quentin Dupieux, quand il est à son meilleur, est le digne héritier des plus grands surréalistes.

Tout comme dans Wrongs Cops, Réalité peut se voir comme une succession de saynètes comiques. Sauf que Wrong Cops a la qualité rare de ne pas tenter de mimer la réalité : tout est réaliste, mais rien n’est réel. En cela, ce film est très dérangeant tout en étant à mourir de rire. Un véritable exploit ! En effet, l’étrangeté provient d’une succession d’éléments disparates qui pris isolément peuvent paraître normaux, mais mis bout à bout donne une impression de malaise. C’est pour cela que j’avais mis ce film dans mon top 5 des films de l’année dernière.

Réalité ne réussit pas ce coup de maître. Le film suit un fil conducteur, au final assez classique, avec un personnage principal et des péripéties secondaires.

Si l’humour surréaliste est parfois aussi génial que dans Wrong Cops, cette capacité à reconstruire une réalité banale à travers des histoires et des personnages totalement barrés n’est pas aussi bien réussie que dans son film précédent.

Dans Réalité, c’est là où le bat blesse, on perd cette sensation à cause du scénario : je n’entrerai pas dans le détail, mais, dans ce film, on connaît clairement les causes de la distortion de la réalité. On perd donc en subtilité.

Petit rappel historique : le surréalisme avait notamment comme objectif (si je ne me trompe pas trop…) de reconstruire une forme de réalité, en superposant des choses qui séparément pourraient paraître normales, mais, mises bout à bout, créent quelque chose d’étrange. Dupieux n’y parvient pas aussi bien cette fois-ci, certes, mais il réussit tout de même à créer une histoire plus classique, qui plaira au plus grand nombre.

Artistes à méditer

J’évoquais précédemment la question du double sens ou de la distortion de la réalité dans Rashomon. Il y a également une autre notion qui fait souvent débat dans le cinéma. C’est celle « d’étrangeté ». Souvent, on entend dire que tel réalisateur s’est fait plaisir en racontant n’importe quoi. Ou que tel autre réalisateur « choque pour choquer » (voir les débats autour d’Haneke ou Lars Von Trier ) ou met en scène des histoires incohérentes juste pour se faire plaisir ou jouer aux « artistes » (citons Lynch évidemment, mais un nouveau réalisateur apparaît régulièrement pour choquer les biens pensants : dernièrement c’est Denis Villeneuve avec Enemy qui a eu la joie de se faire critiquer de la sorte).

Assez étrangement, dans les autres arts (oui, le cinéma est le septième art rappelez-vous), on n’en tient pas rigueur aux artistes qui se laissent aller à divaguer (autre mot pour ne pas dire : s’exprimer artistiquement). On ne cherche pas à tout prix à comprendre une oeuvre d’art contemporain… Alors, oui, le cinéma est une industrie et, en cela, il doit essayer de plaire au plus grand nombre, mais pourquoi renier la part artistique d’un auteur et pourquoi penser que le grand public ne peut pas comprendre une oeuvre surréaliste ?

Cela m’amène à évoquer la question du sens cacher d’un film.

Dans les oeuvres de David Lynch, on comprend qu’il y a un sens caché dans tous ses films, même si on ne le saisit pas à la première vision. Le réalisateur ne fait pas semblant, il ne nous en met pas plein la vue juste pour nous épater, il veut nous dire quelque chose et ses personnages ont une histoire à partager. Tandis que le cinéma de Quentin Dupieux ne recherche pas nécessairement à raconter une histoire ou à proposer un discours profond. On navigue souvent entre un absurde total sans fondement (mais très plaisant) et une imagerie presque poétique proche des surréalistes du début du XXème siècle (Bunuel, Dalì, Man Ray, Breton). En cela, son oeuvre est passionnante à suivre.

J’évoque Lynch car vous verrez que l’une des histoires parallèles raconte la découverte d’une cassette VHS bleue dans les entrailles d’un sanglier. C’est évidemment un clin d’oeil à Mulholand Drive de David Lynch et la fameuse clé bleue (je pense d’ailleurs que c’est exactement la même couleur qui est utilisée dans les deux films). Il est clair que pour Quentin Dupieux, cette histoire de cassette VHS bleue a une signification, mais je ne l’ai pas comprise et, d’ailleurs, il ne me paraît pas nécessaire de l’avoir saisie, car le film ne se veut pas intellectuel pour un sou.

Conclusion réaliste

Pour conclure, je dirais que Réalité traite du sujet, toujours délicat à mettre en image, de la création, de l’inspiration et de la mise en abîme : film dans le film, réalisateur évoquant un réalisateur déjanté, une histoire déjantée racontant la mise en production d’une histoire déjantée…

Le film demeure une grande réussite pour plusieurs raisons et d’abord car Dupieux ne se prend jamais au sérieux et parvient à nous faire partager son univers, tout en exprimant de façon lucide ses angoisses et même ses lubies.
N’ayez pas peur, le film n’est pas pour autant égocentrique. Le spectateur peut facilement s’identifier aux phobies des personnages.
Réalité est aussi très poétique et propose des visions, issues des rêves des différents personnages, symboliques, séduisantes ou parfois repoussantes, avec un sens du cadrage proche des grands maîtres (et de ses grands maîtres ?) qui sont Luis Buñuel, David Lynch et Alejandro Jodorowsky.

Donc, n’ayez crainte, ce film n’est jamais intellectuel ou pédant, il est accessible à tous et demeure hautement recommandable !

Courrez le voir si vous aimez vous perdre en riant tout en n’étant pas sûr de comprendre pourquoi.

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Note globale
Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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