Adapté du livre du même nom d’Ernest Cline sorti en 2011, « Ready Player One » est un film de Steven Spielberg sorti en mars 2018. Lassée des critiques au moins aussi consensuelles que le film, j’ai donc décidé, contre avis médical, d’en écrire ma contre-critique.
L’ Bouquin
« Ready Player One ? C’est un bouquin avec plein de références des années 80, tu vas kiffer ! ». Ainsi commençait ma découverte du livre d’Ernest Cline, conseillé par une amie qui connaissait mon goût prononcé pour les films et autres pop cultures de cette époque. Je dévorais le livre, avec une certaine fierté personnelle d’y saisir les références et clins d’oeil disséminés à chaque page.
C’est donc avec une joie non dissimulée que je me léchais les babines à l’idée de voir adapter ce livre par un des parrains de cette pop culture : Steven Spielberg. En fin de compte, qui d’autre que lui aurait pu réaliser cette fresque moderne des 40 dernières années.
Avec l’excitation d’une gamine de 8 ans qui découvre qu’elle va à Disneyland pour la première fois, je me rue dans la salle de cinéma découvrir cette ode à la geekerie de 2h20.
Avant d’aller plus loin dans cette critique, je vous invite à lire celle du Doc Ciné himself, sacrément bien écrite dans sa description du cinéma de Spielberg et de son rôle dans la pop culture.
D’aucun dirait qu’il n’est jamais bon de voir un film quand on a lu le bouquin. Certes. Et il parait aussi que les suites sont jamais aussi bien qu’un premier opus (ce qui est faux, Retour vers le Futur II, X-Men II, Indiana Jones et La Dernière Croisade en sont les preuves). Et que si on dit trois fois Beetlejuice, Julien Lepers apparaît.
Optimiste dans l’âme et naïve dans le coeur, moi et mon “sait-on jamais” regardons le logo “Amblin” apparaître à l’écran.
L’Flim
Je tiens à le dire : “Ready Player One” n’est pas un mauvais film. Mais contrairement au livre sorti en 2011, “Ready Player One” arrive trop tard.
Il y a 7 ans, être “geek” commençait à être cool et pas encore trop mainstream : Game of Thrones arrivait sur HBO, le Marvel Cinematic Universe entamait sa phase 1, Star Wars n’était pas encore une franchise Disney, « The Big Bang Theory » n’en était quà sa 4ème saison, Warner sortait le dernier Harry Potter et mettait fin à une décennie de sorciers, DC Comics n’avait pas encore décidé de lancer son DC Extended Universe. C’était le bon temps…
En 2017, Spielberg se lance donc dans l’adaptation de cette fresque pop culturelle, censée être une Madeleine de Proust pour les trentenaires / quarantenaires, et un étendard pour la nouvelle génération résolument numérique. Et c’est là que ça a merdé.
L’Boulette
L’patron, il a dit de pas axer toute la contre-critique sur les références. Mais ne pas parler de leurs mauvaises utilisations, ça serait aussi se voiler la face. Aussi, je mets les pieds dans le plat.
Au delà des références déjà présentes dans le livre et à l’écran, Spielberg y a rajouté d’autres références, faisant du film un gros mélange de plein de trucs dont le surplus ne permet d’en apprécier que la moitié. Pour en saisir tous les éléments, il faudrait faire du image par image. Le problème aussi dans l’utilisation des références est qu’elle est clivante, contrairement à ce qu’affirme le boss Doc Ciné. La mondialisation a pu permettre que tout le monde ait les mêmes références, certes, tout du moins une majorité. N’oublions pas que RPO est un blockbuster très cher qu’il faut rentabiliser. N’empêche qu’au clin d’oeil à “Say Anything” je me suis sentie un peu seule. RPO, même si on parle de mondialisation de pop culture, est avant tout un film américain, avec des références principalement américaines pour le public américain. « C’est faux ! »criera le puriste, qui, comme la majorité des spectacteurs, aura passé un « bon moment » : il y a Gundam et Godzilla ! Oui, c’est vrai. Justement : maintenant tout le monde a les mêmes références concernant les 5 dernières années. N’est ce pas d’ailleurs un peu triste ? Quant au rôle XXL du Géant de Fer, tout juste un clin d’oeil dans le livre, il sent bon la sécurité de ratisser le public le plus large possible, tout le marketing ayant été basé sur ce personnage.
“Ready Player One” semble dire : “Tiens, c’est ça la culture”. Je me souviens, en lisant le bouquin, aller chercher les références que je ne connaissais pas. Dur de faire ça au cinéma, je comprends donc tout à fait la globalisation scénaristique et financière de mettre des références compréhensibles au plus grand nombre. Je comprends, mais je n’adhère pas.
Il semble qu’aux yeux de Spielberg, les références les plus compréhensibles sont les siennes, faisant de “Ready Player One” le premier film de self fan service.
Azy que je mets mon T-Rex de Jurassic Park, azy que je dédicace à mon poto le “cube de Zemeckis”…En faisant quelques recherches, je découvre qu’effectivement, au delà des références à Spielberg dans le livre, l’équipe du film a tenté de cacher des Easter Eggs ça et là dans le film, mais Spielberg était contre. Cependant, là où Kubrick et Tarantino font un cinéma replié sur son réalisateur et non pas adressé à son public (ce que j’aime appeler la “branlette cinématographique” aussi appelé “T’as vu comme chui bon ?”), Spielberg tente tout de même une ouverture vers ses potentiels spectateurs et ne perd pas sa qualité de réalisateur humaniste.
Révolutionnaire si il était sorti il y a quelques années, “Ready Player One” est donc too much en 2018.
Bien sûr, la réalisation est impeccable, on parle ici de Monsieur Spielberg. Mais si sa réalisation a bercé notre enfance, elle manque cruellement d’une mise à jour. Spielberg cherche à séduire un nouveau public en appliquant de vieux tours, présentant un film manquant, si ce n’est de couilles, au moins d’âme, consensuel à souhait. Qu’en est-il de la période sombre de Wade qui aurait permis de creuser un peu plus les risques de la réalité virtuelle ? Qu’en est-il de ces protagonistes censés être moches ? Qu’en est il du dénouement digne des pires séries des années 90 ? Il ne manquait plus qu’un arrêt sur images montrant les personnages se tapant dans le dos en riant. Les sujets qui pourraient faire réfléchir y sont à peine effleurés, si ce n’est occultés. Quant aux personnages archétypés…disons que Demi-Lune dans « Indiana Jones et le Temple Maudit »c’était déjà limite, et on était en 1984…Le seul personnage un peu progressiste est donc Aech/Hélène, lesbienne, joué par Lena Waithe, habituée aux rôles de…lesbienne puisqu’elle l’est IRL, et récompensée à juste titre pour son rôle dans « Master Of None ». Probablement le meilleur choix de casting pour ce film à la distribution, encore une fois, sans la moindre prise de risque. On pourrait se demander où est passé le dynamisme et l’originalité qui faisait d’un autre film futuriste, « Minority Report« , un film réussi et encore regardable 16 ans plus tard ?
Pour nous achever dans sa course à la séduction, il nous sert en toile de fond une amourette teenager cheesy à souhait dont les répliques chastes auraient fait reniflé dans les chaumières des années 90. Désolée de te décevoir, Steven, mais tes petits-enfants ne flirtent pas de cette manière, d’ailleurs : plus personne. Le monde est cruel, Steven. Après 2h de film dopé aux effets spéciaux coûtant le PIB de n’importe quel pays du Tiers Monde, les 20 dernières minutes sont d’un ennui mortel, qui, une fois de plus, seraient très bien passées il y a quelques décennies. Last but not least, les incohérences scénaristiques et les clichés y sont tellement nombreux que j’avais quand même l’impression d’être prise pour un lapin de 6 semaines.
Perdu entre trois générations, “Ready Player One” est un sacré bordel de pop culture que Spielberg tente malencontreusement de faire tenir ensemble, érigeant le film au rang de cuculte. Si il parvient temporairement à avoir l’étoffe d’un grand film lors de la séquence de « The Shining » habilement placé en milieu de film et sur laquelle je n’ai rien à redire (si ce n’est que j’aurai bien aimé voir la version du livre avec « War Games »), le reste est long et lourd…
…comme une bonne raclette.