S’il s’oriente doucement vers la comédie, Bruno Dumont n’en reste pas moins fidèle à son cinéma exigeant et radical. Voici une critique de P’tit Quinquin, le dernier long métrage de Bruno Dumont.
L’histoire en bref
Jane Campion financée par la BBC (Top of the Lake), David Lynch qui reprend de l’ouvrage (Twin Peaks), Arte se devait de convaincre un cinéaste d’envergure de s’essayer au format long : ce sera Bruno Dumont, un choix à priori moins sexy que la concurrence mais pertinent, et un auteur qui sied parfaitement à la chaîne franco-allemande.
Qui dit Dumont dit souvent Bresson
Jusque là, jusqu’à ce P’tit Quinquin en forme d’O.V.N.I., qui dit Dumont dit souvent Bresson. On rapproche les deux cinéastes, à juste titre pour trois raisons.
1) le travail avec des acteurs non professionnels, l’absence de jeu, même si chez Dumont il n’y a pas la même nécessité de « dire » le texte.
2) un sens du rythme, l’importance des silences, une froideur d’apparence.
3) leurs manières frontales de traiter la religion, avec ferveur, avec sérieux, parfois presque avec mysticisme chez le plus contemporain.
P’tit Quinquin est un objet fascinant qui ne déroge pas à ces règles. Sur plus de 3h30 et quatre épisodes (film ou série ? peu importe…), il renouvelle le style Dumont en creusant le sillon déjà tracé par les films précédents. Nous voilà une fois encore dans le Nord, terre de prédilection du cinéaste. Dumont est chez lui. Il y a une grande tendresse pour ces gens, pour ces personnages. Oui, ces sont gueules cassées, et les accents sentent bon le terroir mais jamais il n’y a de mauvaises intentions chez le cinéaste – évacuons tout de suite ce faux procès. On suit, dans leurs péripéties quotidiennes un groupe de gamins, des sorties sur la plage aux balades à vélo. Le format permet de prendre son temps. D’écrire des personnages qui ont de l’épaisseur, de laisser les choses se faire naturellement. Dans un film on aurait compensé par une ligne de dialogue en forme de note d’intention : ici on laisse Quinquin, ce garçon au visage absurde, errer, taiseux, comme dévoré par un feu intérieur.

Un style comme une griffe
En toile de fond une enquête de police, bientôt une série de meurtres. Une équipe de bras cassés en vain à la recherche d’indices. Et puis un ton nettement plus léger que d’habitude. Malgré le climat de terreur qui pèse sur le village et les mystérieux événements qui l’entourent, on ne ressent pas la chape de plomb, par la grâce de quelques scènes joliment grotesques. Vous ne rêvez pas : Dumont se marre sous sa barbe, il jubile littéralement (la messe à l’église, grand moment de cafouillage), pour mieux nous perdre. En réalité l’intrigue ne pèse pas lourd, ces crimes ressemblent même à prétexte. P’tit Quinquin est avant tout le portrait d’un village dans cette France profonde. Avec sa violence, sa mélancolie, ses traditions.
Dans son dernier tiers, c’est le prof de philo (le métier de formation de Dumont) qui reprend le dessus. On comprendra, mais un peu tard, que cette errance n’était pas vaine, que la drôlerie cachait autre chose. Qu’on riait pour ne pas pleurer. L’habileté de Dumont à traduire dans ces récits, à donner vie à des idées ou des concepts philosophiques est unique aujourd’hui. Ce que Kieslowski faisait dans les années 1980 avec son décalogue, Dumont le fait aujourd’hui, avec un sens du cadre et une approche plus sensuelle que le polonais. Un style comme une griffe. Le vent qui souffle dans le micro. Un homme lourd qui piétine le gravier. Arte a eu du nez. Dumont lui, a encore grandi.
« P’tit Quinquin » (2014), Bruno Dumont, 200 minutes.