Dans le cadre de la rétrospective autour de la filmographie de Catherine Deneuve, le Festival Lumière nous a proposé une projection en 35 mm du décrié Les Prédateurs (The Hunger) de Tony Scott inédit en salle pendant plus de deux décennies. Ce film vaut-il plus que sa gênante réputation ? Oui, trois fois oui !
Oui, pour la captation définitive de l’esthétique pop 80’s
Les Prédateurs, c’est avant tout une plongée tête la première et sans ceinture dans l’esthétique des années 80. Tony Scott, comme son frère Ridley, est un talentueux technicien ayant fait ses armes dans la pub. Le sujet du film lui offre la possibilité de faire feu de tout bois en termes de mise en scène. On aura le droit à tous les procédés plus ou moins nécessaires, mais à posteriori très touchants, des années 80 :
- les effets vidéos très MTV,
- les ralentis,
- les trucages superposants plusieurs plans,
Les Prédateurs est à l’esthétique des années 80, ce que Collateral sera à celle des années 2000 : un marqueur qui servira de modèle (parfois de repoussoir) aux metteurs en scène du monde entier. Et là, encore une fois, on ne parle pas de direction artistique (costumes, musique, dialogues…) mais bien de mise en scène : cadrages, montage, choix des plans, effets sonores…
Oui, pour ce que cette esthétique nous raconte de son époque
Ce type de mise en scène est en elle-même un parti-pris intéressant. Y avoir recours avec autant de radicalité est clairement un choix artistique intéressant. Cette caractérisation esthétique radicale qui s’apparente à un véritable suicide artistique même dans les années 80 (esthétisme, artificialité, tape-à-l’œil, vitesse) pointe l’objectif du film qui est de traiter du temps qui passe.
Le défaut ou la faiblesse de cette époque repose sur une absence de regard critique sur les apports de la technologie. Comme si les effets de la publicité, du clip, le vertige de la vitesse avaient contaminé les esprits. Cette afféterie pour la nouveauté, ce goût pour le « jeunisme » a profondément et durablement contaminé l’industrie artistique.
Rien de moins étonnant à ce que Tony Scott décide d’user et d’abuser de cette esthétique pour fixer le cadre de son histoire. Les Prédateurs revisite le mythe du vampire pour en faire une critique de son époque.
Rien de moins étonnant que l’histoire se déroule dans la reine des villes qui bouge : New York.
Rien de moins étonnant, enfin, que le personnage du vampire dépérissant soit interprété par David Bowie, le symbole de l’artiste qui se réinvente constamment en se réincarnant en un nouveau personnage.

Pas un film de vampires de plus
La belle et élégante Miriam Blaylock (Catherine Deneuve, froide et sublime as usual) mène une vie luxueuse et oisive au côté de son mari John (David Bowie). En réalité elle est âgée de plus de 3 000 ans et vient d’Égypte. Elle doit tous les 7 jours, boire du sang humain pour se préserver des atteintes du temps. Elle utilise, pour ce faire, un petit pendentif en forme de clé d’Ânkh qu’elle porte autour du cou et qui dissimule une lame acérée qui lui permet de trancher la gorge de ses victimes. Elle a offert, il y a trois cents ans, l’immortalité à son mari. Cependant, si elle peut donner l’immortalité à ceux qu’elle a choisis, elle ne peut leur garantir de les aimer toujours, alors que l’amour est l’ultime ingrédient de l’alchimie subtile qui leur assure de ne pas vieillir. En cette fin de xxe siècle, après trois siècles de vie commune et heureuse, John Blaylock commence à ressentir la réalité d’un vieillissement accéléré qui ne s’arrêtera plus, sans pour autant entraîner sa mort. John tente de contacter Sarah Roberts (Susan Sarandon), une docteure spécialiste du vieillissement, pour essayer d’échapper à l’inéluctable. Miriam tombe sous le charme de cette dernière.
Les Prédateurs n’est pas un film de vampires de plus. Le sang coule dans les veines (voir les scènes filmées au microscope), le sang bat fort. Il est question de corps, d’hygiène et de santé. Le sida est dans l’air du temps. Tout comme dans Mauvais Sang de Léos Carax, le romantisme fait place à l’urgence.
Dans Les Prédateurs, le monde autour des vampires change à grande vitesse. L’art n’est plus que dans les beaux intérieurs de la maison de Miriam. À l’extérieur, tout semble emporté par un « jeunisme » désincarné, froid, clinique et cynique.
Pourtant, le romantisme finira par l’emporter dans un tourbillon esthétique marquant le sommet de la carrière de Tony Scott. MTV n’est jamais loin, mais l’esprit baroque l’emporte et nous laisse une impression douce-amère.