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La nuit où j’ai nagé de Damien Manivel et Kohei Igarashi – Critique

By 1 mars 2018Critiques
La nuit où j'ai nagé
Note de la rédaction :
Un film minuscule qui pourrait passer inaperçu, petit par ses moyens mais grand par sa justesse et sa force émotionnelle. Et si Manivel était le dernier mohican d’un cinéma disparu ? 

Il est difficile de croire qu’il existe encore des films aussi simples et aussi purs que ceux que réalisent aujourd’hui Damien Manivel. Les chanceux qui avaient vu son film précédent, Le parc, se souviennent d’une magnifique séance de SMS à la nuit tombée. À l’heure où les autres ajoutent des effets spéciaux, des moyens délirants, des figurants partout, des scénarios rocambolesques, lui fait des films de plus en plus épurés : il avance en soustrayant.
Donc voilà son dernier bijou, modeste et fragile, réalisé à quatre mains avec le jeune Igarashi, rencontré à Locarno au festival. Les deux compères s’entendent bien, échangent des idées, boivent des coups, et finissent par se dire comme un défi ou comme une plaisanterie qu’ils devraient faire un film ensemble. Ce serait un film au Japon. Kohei pose comme condition de travailler avec un enfant. Damien tient à filmer la neige. Tope là, c’est parti !
Voilà les deux comparses dans le nord du Japon à chercher une famille qui correspondrait à leur projet. Façon casting sauvage. Il faut connaître les gens, apprivoiser l’enfant, vivre avec eux. Après quelques semaines, les Kogawa acceptent : le petit Takara, 6 ans, incarnera le rôle principal. Il y avait trois personnages dans Le parc, il n’y aura que Takara (ou presque, on aperçoit rapidement sa famille) dans La nuit où j’ai nagé. Mais c’est encore trop. Le tournage commence et les deux amis réalisent qu’ils n’ont pas écrit de dialogues, ils veulent voir sur place, improviser autour d’une trame de départ. Puis l’évidence fait jour : pourquoi ne pas simplement faire le film sans dialogue et sans voix-off ?
1h19 de neige, d’un petit garçon de 6 ans, tout est dit. Takara a fait un petit dessin qu’il voudrait montrer à son père. Ce dernier part tous les matins à l’aube, il travaille sur le marché aux poissons. Pas effrayé pour un sou, légèrement inconscient, Takara part, bravant les éléments, sans moyen de transport et adresse, le dessin dans son sac à dos. Ce pitch suffit : le reste, ce sont les petits accidents de parcours qui sont autant d’accidents du réel. Takara qui s’endort par exemple, ce n’est pas écrit : le petit s’endormait régulièrement pendant le tournage donc l’histoire s’est adaptée autour de ces micro-événements. Sa démarche aussi ne s’invente pas, elle sent le vrai à plein nez.
Pour ceux qui imaginerait un film un peu aride, au contraire, il y a beaucoup de légèreté, de poésie et de douceur dans chaque scène. Les réalisateurs utilisent systématiquement des plans fixes, ce qui va bien avec cette approche sans fioritures et très documentaire mais on ne voit pas du tout le temps passer. Et la fin est entêtante et mérite le voyage. Le film a été sélectionné à la Mostra de Venise et fait vraiment figure de curiosité. Il faut se déplacer et faire connaître Manivel, parce qu’il est un peu le dernier bastion d’une idée du cinéma que nous tenons à défendre. Parce qu’il représente, à 36 ans et 3 jolis films, une certaine idée de la modernité.
Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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