Nouvel Hollywood : pourquoi et comment une poignée de cinéastes a changé Hollywood. Tout d’abord, il faut savoir ce que le Nouvel Hollywood n’est pas : ce n’est ni un genre cinématographique, ni une école. Zoom sur une histoire qui a bouleversé toute une industrie.
The Big Shave de Scorsese
Tout commence avec un court-métrage très étrange : The Big Shave de Martin Scorsese (1967). Comme il le dira lui-même à propos de ce film : « toute cette violence réprimée qui soudain éclate à la surface ».
Sur une musique enjouée, on voit un homme seul devant la glace commencer à se raser. Rien de plus banal. Sauf que justement rien ne se passe comme prévu : après s’être rasé une première fois, il recommence et s’écorche la peau jusqu’à saigner de façon abondante, le tout sans sourciller. Des flots de sang dégoulinent sur sa peau, puis se déversent sur le lavabo. Puis cut sur un fond rouge. Générique de fin.
Comment une scène en apparence si anodine peut se transformer en massacre ? L’inversion des codes esthétiques du cinéma classique que l’on retrouve dans ce court-métrage est ni plus ni moins que le signal d’un vent nouveau. Si la vision d’un homme se rasant face à son miroir est devenue au fil des années un passage obligé du cinéma, la deuxième partie du film brise l’impression de déjà-vu. Le spectateur est laissé dans une forme d’abandon : son incompréhension face à ce moment à la fois banal et très dérangeant semblant être l’annonce d’une nouvelle ère vers plus de liberté.
The Big Shave de Martin Scorsese (1967)
Tournages en studios et cinéma vérité
La contre-culture est en marche aux États-Unis comme en Europe. Face à cette jeunesse brisant les codes de toute part, cette vieille endormie qu’est devenue Hollywood semble complètement hors-sujet. Autant la TV déverse à l’heure du journal son flot de violence crue venant tout droit du Vietnam ou des rues de Watts et de Harlem, autant les Studios dirigés par de vieux nababs aveuglés par leur splendeur passée continuent à produire des comédies musicales, des westerns et des péplums aux décors extrêmement chers et au casting ronflant. Alors que la jeunesse semble en demande de vérité et de grands espaces, les grosses productions continuent à être tournées en studio pour le meilleur et, surtout, pour le pire.
Comment pouvait-on penser que le spectateur aller encore se contenter de comédies musicales mièvres ou de peplums hors du temps lorsque n’importe quel américain moyen pouvait voir au journal tv les atrocités du monde moderne ? Le crâne de Kennedy explosant avec le rêve américain, les émeutes raciales, les marines sans vie… Tout transpire la violence en cette fin de décennie.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a sans doute été cette scène surréaliste qui passa en direct sur NBC dans laquelle le chef de la police de Saigon tire une balle dans la tête d’un jeune combattant viêt-cong. N’importe quel spectateur du journal tv a pu voir cette scène horrible en direct dans son salon. Citée par Jean-Baptiste Thoret dans son ouvrage sur le cinéma américain, cette image marque sans doute l’amorce d’une révolution culturelle et esthétique qui verra une nouvelle génération de cinéastes s’affranchir de la culture de masse pour frayer avec de nouveaux territoires moins lisses et, disons, plus violents. Ainsi, le genre n’allait pas tarder à se faire une place de choix dans le cinéma américain et à Hollywood.

D’ailleurs, qui d’autre que Wes Craven pouvait s’approprier cette image symbole, sanctionnant la fin d’un rêve et mettant en branle un certain nombre de consciences à la fin de La Dernière maison sur la gauche ? Tel un écho, cette scène sera une nouvelle fois sanctifiée par Michael Cimino dans la fameuse scène de la roulette russe de Voyage au bout de l’enfer (Deer Hunter) en 1978.
Assassinat de Kennedy, de Martin Luther King, de Malcom X, de Bob Kennedy, les émeutes raciales à L.A. et New York, les manifestations anti-Guerre du Vietnam, les universités en effervescence, l’assassinat de Sharon Tate par Manson, les festivals lieux de joie et de mort, la musique et la jeunesse en révolte… Le gap entre la vie réelle et le monde féérique d’Hollywood n’a jamais été aussi important qu’en cette fin des années 1960. Tout est violence, mais tout est aussi politique pendant cette courte période de gestation de la contre-culture américaine.
La loi du hors-champ est balayée
La loi du hors-champ va en quelque sorte de pair avec l’histoire du cinéma hollywoodien. De l’instauration du code Hays en 1934 à son abandon en 1966, les studios se sont littéralement infligés volontairement une censure pour éviter la fougue des ligues de vertus faisant planer le risque de boycott de leurs films. Tributaires de contraintes les obligeants à prohiber toute scène de sexe, ou de violence explicite, le cinéma hollywoodien a mis en place un processus savant lui permettant de dire sans montrer. Si pour ma part je trouve ce procédé fascinant quand il est maîtrisé à la merveille par quelques génies du cinéma tels que Ford ou Hitchcock, ce système ne tient plus la route avec l’avènement de la tv dans les maisons et l’arrivée des retransmissions en direct.
Le Code Hays face aux acteurs

Si à Hollywood le hors-champ (ne pas montrer) est la règle, l’implicite (suggérer) est la norme. Pourtant le décalage entre la vie réelle et le cinéma se fait de plus en plus durement ressentir. Le Code Hays en fait les frais et est définitivement abandonné à la fin de l’année 1966 au profit d’un principe de « bonne conduite » reposant sur le libre-arbitre et le bon goût des cinéastes.
Le résultat, on le connait tous, en 1967 sortent successivement Les Douze salopards de Robert Aldrich, De Sand froid de Richard Brooks, la trilogie des dollars de Sergio Leone et surtout Bonnie & Clyde d’Arthur Penn avec cette scène d’exécution ultra-violente, filmée au ralenti, devenue mythique :
Ce moment de cinéma effarant de crudité est en quelque sorte la quintessence de l’esprit de la fin de la décennie : commençant par un quiproquo mêlant douce innocence et idéalisme rêveur, elle se finit dans un bain de sang, bruyant, ultra-violent et cinglant, figeant pour l’éternité le moment où l’Amérique s’est réveillée pour observer le monde tel qu’il est vraiment, sans fard ni espoir.
Le crâne de Clyde explosant sous l’impact d’une balle au ralenti n’est rien d’autre que l’appropriation par Hollywood de l’assassinat de Kennedy. Rien que cette captation révèle à quel point Hollywood était prête à devenir le lieu d’enregistrement du drame du monde qui nous entoure.
Pour certains, cette succession de films était le signal d’une décadence et de la fin du grand Hollywood, pour d’autres, elle était au contraire synonyme d’une bouffée d’oxygène.
Le cinéma fonctionnant encore comme une oligarchie dirigée par une petite élite de vieux nababs enfermés dans leurs studios 24h/24, la révolution tarda à s’imposer. Les grosses productions continuèrent à se faire en dépit du bon sens en privilégiant des films de studios coûteux qui n’intéressaient plus le jeune public. Résultat, à cette époque les Studios vont tous plus ou moins couler ou se faire racheter par des multinationales : Universal par MCA, Paramount par la Gulf and Western, United Artists par la Transamerica et la MGM par un tycoon de Las Vegas.
De leur côté, les Cassavetes, Hopper, Scorsese, De Palma vont commencer à tourner leurs petits films recueillant bien plus qu’un succès d’estime. Le monde leur est désormais ouvert grâce à un nouveau public plus jeune, sans doute plus urbain et politisé. Désormais, il n’existe plus de barrière entre les tenants du savoir, les élites culturelles et le grand public. Ils se retrouvent tous autour d’idéaux et de valeurs que l’on retrouve dans des films sans doute moins aboutis sur le plan formel (et encore !), mais bien plus riches sur le plan des idées et des concepts abordés. Le temps du cinéma vérité est enfin arrivé à Hollywood, certes bien après l’Europe ou le Japon, mais avec cette capacité jouissive à dire merde à l’ancien monde sans se retourner. Montrer le monde tel qu’il est devient une urgence. S’indigner contre lui aussi. Faisant table rase du passé, le temps du renouveau était enfin arrivé.
Les événements politiques et sociaux de l’année 1967 allaient enfoncer le clou et permettre à une nouvelle génération de cinéastes de s’affranchir des codes du passé : Scorsese, Arthur Penn, John Boorman, Frankenheimer, John Cassavetes, Coppola, Aldrich, Cimino, Pakula Pollack et tant d’autres vont s’engouffrer dans la brèche pour écrire une nouvelle histoire d’Hollywood qu’on appellera bien plus tard le Nouvel Hollywood.
Mais au final, l’histoire du cinéma n’est-il pas qu’une histoire de codes et de contraintes à dépasser ? Qu’en dit Hitchcock ?