Nothingwood, c’est comme un shoot de bonne humeur. A la vision de ce film, les cinéastes amateurs auront envie de crier « Yes, we can ! » et, plus globalement, les pessimistes n’auront plus aucune excuse pour s’apitoyer sur leur sort. Prêts à découvrir le cinéaste le plus bigger than life depuis Ed Wood ? Critique.
La découverte de Salim Shaheen, le réalisateur afghan que la documentariste Sonia Kronlund suit pendant quelques semaines, fait l’effet d’une claque. Cet homme a réalisé rien de moins 108 films et était en train d’en réaliser 4 autres pendant le tournage.
En temps normal, il en faut de l’énergie pour réussir ce tour de force, mais y parvenir au pays des talibans, c’est un réel exploit.
Comme le rappelle avec un brin de malice Salim Shaheen : « Kaboul, ce n’est ni Hollywood ni Bollywood, c’est Nothingwood parce qu’il n’y a pas d’argent, il n’y a aucune aide, pas de matériel, rien ». Mais l’intérêt de ce film ne repose pas uniquement sur le contraste entre les projets cinématographiques et l’environnement qui entourent cette équipe de pieds nickelés. Si la plupart des films de Salim Shaheen s’inspirent plus ou moins de son quotidien difficile, l’esprit du bonhomme est plus à la franche rigolade et à la volonté de créer.
En cela, Salim Shaheen se rapproche plus des premiers cinéastes (on pense aux Frères Lumière pour l’inventivité et la malice) avec cette folie communicatrice emportant tout sur son passage et se moquant bien de la Mort qui ne semble pourtant jamais loin. On apprend en effet dans une séquence dont on se demande à quel point elle n’est pas un romancée (au sens noble) que Salim Shaheen a échappé plusieurs fois à la mort dans sa jeunesse.
Cela explique sans doute un peu sa manière de concevoir son travail. Sur le plan technique, il semble porter une foi inébranlable à ce qu’il fait. Autodidacte, charismatique et sûr de lui, il écrit et réalise tous ses films entouré d’une équipe s’apparentant davantage à une famille recomposée (il fait d’ailleurs tourner tous ses fils) iconoclaste et bienveillante.
Le documentaire nous plonge d’emblée dans un moment intense puisque son équipe part tourner dans l’une des régions les plus dangereuses d’Afghanistan. Mais encore une fois, Salim Shaheen déjoue nos attentes d’un revers de la main : il se moque bien du danger et de toute façon on apprendra un brin médusés que même les talibans lui vouent un culte secret (ils s’échangent en douce les cassettes de ses « meilleures » productions).
Il faut dire que les histoires qu’il raconte sont à la hauteur de son personnage qu’il s’est forgé à force de conviction : si l’inspiration indienne est partout, le fond est déjanté et le message véhiculé semble correspondre au peuple afghan. Comme si la médiocrité de la forme était transcendée par l’énergie brute de son œuvre. D’ailleurs, on pourrait voir une filiation entre Salim Shaheen et un art brut qui s’ignore.
La force de Nothingwood est justement de dépasser l’anecdotique. Sonia Kronlund vient du documentaire qui se respecte (notamment France culture) et s’attèle constamment à remettre en contexte les scènes désopilantes auxquelles nous assistons un brin médusés : l’arrivée de Shaheen et de son équipe au fin fond de l’Afghanistan…
Sonia Kronlund ne filme pas Salim Shaheen ni même son acteur fétiche qui s’avère être très efféminé comme des bêtes de foire. La réalisatrice semble constamment fascinée par l’intelligence et la roublardise du bonhomme : vous apprendrez que si vous voulez vous faire accepter dans une zone reculée et dangereuse dites aux habitants de ladite zone que vos parents sont nés là (et n’hésitez pas à le dire à chaque fois que c’est nécessaire dans toutes les zones dangereuses que vous visiterez).
Talent, humour, justesse et humanité, Nothingwood est sans conteste la plus belle surprise du cinéma français de cette année 2017. Quand la roublardise confine au génie, il ne nous reste plus qu’à nous incliner et à apprécier le spectacle.