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Nocturama de Bertrand Bonello – Critique

By 4 septembre 2016mars 12th, 2017Critiques
nocturama
Note de la rédaction :

Nocturama de Bertrand Bonello est un film traitant de la préparation et de l’exécution d’attentats en France… et il est sorti en salle le 31 août 2016. Aïe, premier faux pas : comment un film sur des attentats en France, dans une trame de fond plus ou moins réaliste, peut-il faire le choix d’évacuer tout le contexte politique ambiant ? Dépasser l’écume des choses, oui, mais encore faut-il le faire jusqu’au bout. Critique.

 Nocturama comporte 2 parties : les préparatifs, quasiment en temps réel, des attentats et une partie plus longue, plus éthérée voire flottante, pendant laquelle nous suivons les errances des terroristes réfugiés dans un grand magasin en attendant que la situation « se tasse » (désolé nous n’avons pas trouvé mieux comme expression…).

Siegel rencontre Bresson

Avant de se plonger dans les choix scénaristiques de Bertrand Bonello qui en énerveront plus d’un, il est essentiel de revenir sur la mise en scène du réalisateur de Tiresia, tant cela faisait un moment que nous n’avions pas vu Paris aussi bien filmée au cinéma.

La première partie est un bijou de mise en scène aussi précise qu’inventive, notamment dans le choix des décors filmés. Dans un traitement volontiers réaliste, Bertrand Bonello nous plonge dans un Paris que nous n’avons pas l’habitude de voir au cinéma.

Premier choc esthétique, le plan d’ouverture du film où on découvre un plan aérien de Paris. Il est probable qu’il s’agisse d’un stock shot, mais le fait de voir Paris vue du ciel nous plonge dans une esthétique inattendue loin des clichés du cinéma de genre à la française (c’est à dire fauché ou refusant, sans doute par snobisme, ce genre de plans immersifs).

Ensuite, vient le temps des préparatifs des attentats. Et là, rien à dire, c’est grandiose. À la manière de Don Siegel, la caméra de Bertrand Bonello suit les déplacements des 7 terroristes : travelling avant – arrière – montant – descendant dans les couloirs du métro. Tantôt précédant les personnages, tantôt les suivant avec une prudente distanciation, la caméra de Bertrand Bonello, constamment en mouvement, semble se faire le témoin d’une situation d’urgence. Pourtant, rien ne nous est présenté. La situation se passe d’explications et les premières lignes de dialogues interviendront au bout d’une bonne demi-heure.

Dans cette première partie, la puissance narrative est portée uniquement par la qualité de la mise en scène. Bertrand Bonello maîtrise son sujet et nous épargne tout ce qui pourrait décrédibilise l’action. Son récit est limpide et implacable. En quelques minutes, nous comprenons ce qui se trame sans que des dialogues ne viennent paraphraser l’action.

Effarés, nous voyons un groupe de jeunes gens cosmopolites, comme on dit, se préparant au pire. Ils semblent déterminés, certains sont en couple, d’autres paraissent tout juste sortis de l’enfance… Plongés dans ce mouvement implacable, nous allons peu à peu comprendre l’horreur de la situation sans pour autant parvenir à dénouer tous les fils de l’histoire.

Tout comme Don Siegel, dans cette première partie Bertrand Bonello élude volontairement toute forme de psychologie pour privilégier une approche behaviouriste. La mise en scène précise, quasiment austère, sa précision bruitiste dans l’enregistrement des gestes de la préparation des attentats évoquent à certains instants la fragmentation de la mise en scène de Robert Bresson, dans Un condamné à mort s’est échappé par exemple. D’ailleurs, la fragmentation n’est-elle pas la condition nécessaire pour qui veut dépasser le stade de la simple représentation ?

À vrai dire, dans Nocturama, le cadre est un espace très segmenté où chaque partie ne semble se raccorder aux autres que par l’entremise des autres personnages, rarement présents à l’écran au même moment. Cette impression sera renforcée à quelques moments précis du récit lorsque des personnages se perdront tantôt dans les coulisses d’un ministère, tantôt dans les dédales d’une tour de la Défense ou même dans les issues de secours d’un grand magasin. Ils ne seront « récupérés » par le réel que par l’entremise d’un des leurs.

Ainsi, dans cette première partie, Bertrand Bonello parvient à quelques moments précieux à déconstruire l’espace à la manière de Robert Bresson. Les êtres et les choses sont constamment isolés, vus dans leurs parties séparables, pour être enfin réunis dans leur interdépendance. Nous assistons donc aux prémisses d’un discours sur un groupe social. Passionnant.

Résumé :

A Paris, de nos jours, des jeunes gens déambulent dans le métro et dans les rues de la capitale. Chacun d’entre eux accomplit des tâches aussi précises que mystérieuses, répondant à des messages cryptiques reçus sur les téléphones portables en leur possession. Soudain, plusieurs bombes explosent dans Paris. Les jeunes gens, parmis lesquels David, Yacine, Sabrina, Mika, Sarah et Omar, se retrouvent à la nuit tombée dans un grand magasin. Avec la complicité d’un vigile, ils entrent dans le bâtiment fermé au public. Pendant ce temps, la panique a envahi la ville et les politiques se perdent en conjectures…

Post-apocalyptic politics

Dans cette première partie Bertrand Bonello a donc décidé d’élaguer son film des scories habituelles de ce type de films où les motivations des protagonistes doivent nécessairement tenir une place importante dans le scénario. Ici, il n’en est rien… du moins à quelques exceptions près (et c’est bien dommage).

Car c’est bien là où la comparaison avec un film de Don Siegel s’arrête. Si chez Siegel, la mise en scène sert un discours généralement brillant, quitte à s’effacer derrière lui, dans Nocturama Bertrand Bonello semble ne pas vouloir choisir entre formalisme pur et analyse de la société. Malgré quelques fulgurances idéologiques bienvenues, Nocturama ne prend qu’à de rares exceptions position et en ces temps troubles, cela risque immanquablement de poser problème à beaucoup de spectateurs.

Néanmoins, les parties les plus réussies de Nocturama sont celles où Bertrand Bonello s’abstient de mettre des « maux » sur ce qu’il filme : le simple fait de filmer la détermination froide d’une bande de jeunes post-adolescents à organiser des attentats contre leur propre pays a mille fois plus d’impact que le fait d’essayer de comprendre leur background politique ou socio-culturel.

Faire c’est dire. L’extrémisme de certains choix ne peut qu’interpeller et glacer le sang. Ce positionnement aurait pu être celui de Bertrand Bonello, Nocturama n’en aurait été que plus brillant. Malheureusement, ce n’est pas le cas. C’est là où notre admiration du film de Bertrand Bonello s’arrête. Si les intentions sont bonnes, l’exécution ne tient pas la route jusqu’au bout.

Même si les dialogues ne sont pas forcément l’alpha et l’oméga pour comprendre les intentions de personnages (il y a une différence entre le dire et le penser), la limite du film intervient au moment où les jeunes se mettent à communiquer. Tantôt idéalistes, tantôt anarchistes, bien souvent désaxés, voire même islamistes (merci à un journaliste qui se reconnaîtra de m’avoir alerté sur ce point) : rien ne nous est épargné pour expliquer leur geste. Pourtant, rien ne semble plus faux que leurs explications.

Bien entendu, certains trouveront que c’est justement l’intérêt de cette histoire d’illustrer la déliquescence de notre société qui ne parvient pas à transmettre des valeurs à une nouvelle génération. Si bien que cette dernière, si dissemblable, se retrouve pourtant dans un même dégoût de notre monde. En effet, Nocturama (à associer sur ce plan là avec le Glamorama de Bret Easton Ellis)  illustre avec un certain brio la perte de repères de cette bande de jeunes. Dans un sens, cette absence de discours cohérent, ou de ligne directrice, semble s’appuyer sur un contexte social totalement désenchanté. Donc pourquoi pas.

Mais, comment croire qu’une bande aussi hétéroclite (des bourgeois préparant Science-Po, des banlieusards, des demi-imbéciles) puisse se réunir pour commettre des attentats ? On nous rétorquera que le plus important n’est pas de croire en la crédibilité de l’histoire, mais d’adhérer au positionnement de l’auteur. Soit. Alors, s’il s’agit réellement de cela, chaque détail a son importance. Ces jeunes visent des symboles de notre société (des lieux de pouvoir) mais, grisés par leur succès, se mettent à piller un grand magasin (la consommation : autre chimère qui semble les hanter). Que doit-on en conclure ?

De même, l’intrusion du réel dans une contextualisation pas totalement assumée (le vrai nom du premier ministre est cité) ne fait que brouiller les pistes. Si le film s’inscrit dans notre réalité, pourquoi ne pas aborder frontalement notre situation au lieu de tourner autour du pot ?

À vrai dire, Nocturama se joue de nos attentes. Film radical voire anarchiste, Nocturama n’est pas là pour nous permettre de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Ou plutôt si, il prétend (c’est un parti-pris) que le contexte (l’islamisme, la radicalisation, le pouvoir politique actuel) n’est que l’écume de ce qui se trame plus en profondeur dans notre société : la perte de repères de notre jeunesse.

Débarrasser de tout discours analytique et rejetant toute velléité de trouver des solutions, Bertrand Bonello ne semble croire ni en la démocratie ni aux contres pouvoirs. Il s’abstient de prendre position et décrit une situation d’urgence.

Alors quelle leçon tirer de cela ? Bertrand Bonello semble en tirer trois :

  1.  La jeunesse est abandonnée (peu d’adultes dans le film), déphasée, désenchantée et en colère.
  2. Elle ne maîtrise plus sa pensée (pas même ses élites) et serait prête à s’unir dans une sorte d’Internationale anarchiste.
  3. Toute révolution venant de la jeunesse serait nécessairement inconséquente – leurs cibles semblant totalement iconoclastes et fluctuantes  (ils disent même : « on aurait mieux fait de faire sauter Facebook ») mais finalement compréhensible.
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Noodles

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