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le musée des merveilles
Note de la rédaction :

Un film, ou peut-être deux, voire beaucoup plus. Il faut voir « Le Musée des merveilles » pour y croire. Certains seront très émus, d’autres moins. Mais tous y reconnaîtront Todd Haynes, un cinéaste à la marge.

« Le Musée des Merveilles » (Wonderstruck) contient tout le cinéma de Todd Haynes, pour le meilleur et pour le pire, tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il questionne depuis plus de trente ans dans ses films. C’est un long-métrage inégal, sucré, qui ressemble par moments à une excellente superproduction Disney (le film, en l’occurrence, est produit par Amazon), très soigné dans sa production et dans ses détails, et donc, très personnel. On y retrouve le cinéma expérimental du Haynes des débuts, dès l’ouverture, avec des éclats, des flashs, un rendu avant-gardiste, on y retrouve aussi les poupées qui avaient marqué son premier succès critique avec le sensationnel « Superstar : The Karen Carpenter Story » (1988, si vous ne connaissez, jetez-vous dessus sur youtube). Mais il y a aussi le Haynes plus tardif, celui des mélos Sirkiens (et « Wonderstruck » est un pur mélo), celui de « Carol », qui aime reconstituer minutieusement une époque, et à qui on reproche parfois de faire des films comme des musées (costumes et photos et puis basta, quelque chose qui sent finalement un peu le renfermé, la prouesse vaine).

Les musées, justement, sont au centre de son nouveau projet présenté à Cannes en mai. Les histoires parallèles d’un garçon en 1977 (Ben) qui quittera le Michigan pour New York pour échouer dans un musée. Celle d’une fille sourde en 1927 (Rose, interprétée par Millicent Simmonds, 13 ans, vraiment sourde) qui errera dans New York en vain pour finir dans un musée. Et cette idée, touchante mais par trop martelée, que chacun, de par ses souvenirs, sa mémoire, ses rencontres, constitue en quelque sorte un musée en mouvement, une collection d’images (d’images de cinéma ?), un musée vivant.

Donc le film est composé de deux films. Un en couleur, l’autre en noir et blanc. L’un sonore, l’autre muet. Deux films qui comme toujours chez Haynes communiquent entre eux. Car c’est l’une des obsessions de son cinéma : que les films nourrissent un dialogue permanent, que chaque image s’ajoute aux images précédentes, pour apporter une pierre à ce dialogue des âges. D’où son goût pour le remake, le moyen le plus sûr de s’adresser à d’autres cinéastes. « Far from Heaven » discutait ouvertement avec Sirk et Fassbinder. « Mildred Pierce » avec Michael Curtis et sa propre version de 1945. Même son film sur Bob Dylan « I’m not there » s’adressait à nous, se confrontant aux images que nous avons du vrai Dylan. Faisant friction entre les images créés et les images déjà là. Ces images, ce beau noir et blanc ou les couleurs bigarrées des années 1970, Haynes les doit à son talentueux chef opérateur Ed Lachman, qui a collaboré avec une flopée de réalisateurs importants, Werner Herzog, Wim Wenders, et qui a signé la photo particulièrement mémorable de « Virgin Suicides ».

« Wonderstruck » vient ajouter à ce grand musée qu’est l’histoire du cinéma deux nouveaux films, deux en un, à la fois la copie et l’original et dont les frottements font parfois des étincelles (et pourquoi pas un éclair, comme la foudre qui vient frapper le jeune homme dans les premières minutes). Haynes monte très habilement en parallèle ces deux récits, ici par une perspective similaire à 50 ans d’écart, là par une coupe particulièrement précise, qui montre combien Ben et Rose ont en commun. Le réalisateur se réinvente en brassant les thèmes qui l’ont toujours bercé. Il distille aussi ça et là des clins d’œil cinéphiles, ici à Griffith, là à Murnau. Il y a de l’espièglerie, de l’humour, malgré le drame sous-tendant le film, on sent le plaisir et l’amour de faire des films, mais le script tiré du roman de Selznick (roman pour enfants, de l’auteur qui avait signé « Hugo Cabret ») me paraît un peu étouffe-chrétien. Trop c’est trop. On comprend bien que les deux récits vont finir par se rejoindre. Si bien que l’émotion qui jaillit tardivement avec Julianne Moore se retrouve finalement comme épuisée par trop de musique, trop d’explications, trop de bonne volonté.

Peu importe. Un film infiniment personnel (comme une signature), intelligent dans sa mise en scène, supérieur à une grande partie de la production actuelle, mais aussi maladroit, plein de coïncidences faciles et bouclé rapidement pour que tout retombe bien sur ses pieds. Il faut voir « Wonderstruck », la rencontre étonnante d’un auteur avec le mainstream, parce qu’il est si riche que chacun y trouvera son compte, que le cinéma peut faire des miracles, et parce que Todd Haynes est un touche à tout génial, un des derniers avec Spielberg qui croit au grand film tout public, mélo, et n’hésite pas à mêler à cette ambition des procédés plus rares pour nous émouvoir.

Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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