Deux ans après l’impressionnant The Lobster et son high concept impitoyable, le cinéaste grec Yórgos Lánthimos poursuit sa dissection de la société occidentale. C’est au tour d’une riche famille WASP (White Anglo-Saxon Protestant) d’être croquée par l’auteur de Canine.
Chasse à l’Homme
Auréolé du prix du scénario au Festival de Cannes, ex æquo avec A Beautiful Day, Lánthimos installe un crescendo narratif viscéral. Sa gestion minutieuse de l’information nous laisse pendu au moindre indice délivrer ça et là. Conférant à l’exposition une froideur pesante, suscitant la fascination. Une herméticité construite sur un enchaînement de séquences nous présentant la vie de cette famille aux mœurs étranges et aux apparences trop lisses. Une suspicion grandissante à mesure que Martin, le mystérieux jeune homme que voit régulièrement Steven (Colin Farrell) s’immisce dans l’intimité de la famille Murphy.
Et si la première heure inquiète, par le comportement de tous les personnages, les secrets qui semblent les lier et leurs comportements, la seconde prend un tournant inattendu. Effectivement, grâce à un reversement scénaristique efficace, la deuxième moitié vrille dans la farce. Déconstruisant bloc par bloc toute la bâtisse que le réalisateur s’était évertué à mettre sur pied. On prend donc un malin plaisir à se moquer de ce quintette de personnages pris dans un machiavélique étau . Pourtant, le film continue d’exercer son pouvoir de fascination. La gêne est désormais accompagnée d’une certaine ironie tant les transgressions sont de plus en plus ubuesques. Cette transition vers l’humour noir est dosée avec parcimonie. Piquant à plusieurs reprises ces personnages bornés, conduits uniquement par leurs croyances. En l’occurrence, une dévotion totale à la science et aux explications rationnelles.
Échafaud
Véritable série B déguisée en drame intellectuel, le film nous embarque dans le témoignage d’une chute. Celle du modèle familiale défini par l’americana. Chaque péripétie est à prendre avec second degré. Le film s’amuse également à nous faire prendre conscience du consentement dans lequel nous nous trouvons. Multipliant les carrefours métas et intrusions dans le 4ème mur par le biais des dialogues. En dépit de ses qualités d’écriture, le long-métrage trébuche au moment de tirer sa révérence.
A vouloir faire dévier le point de vue du spectateur- et par conséquent ses sentiments -, la délivrance peine à faire son office émotionnelle une fois la descente amorcée . Une conclusion comportant en effet trop de zones d’ombre et qui laisse un sentiment d’inachevé. Résultat d’une addition d »éléments plus stéréotypés dans sa résolution, le film transgressant son écriture inflexible jusqu’à alors.
Scalpel visuel
Cette apogée boiteuse épargne heureusement la mise en scène. Chirurgicale dès son premier plan, iconique et primal. Toutes les images amplifient le propos et servent le ton particulier du film, soulignant les aspérités de ses personnages. Beaucoup de vide, des cadres à angles droits, une utilisation de la focale large systématique. Le film brille par sa photographie soignée, réussissant à donner une ambiance significative à chacun des décors. Notamment l’hôpital, où la lumière procure une atmosphère moribonde qui va infecter petit à petit chaque environnement.
Toujours plus généreux et confiant dans sa réalisation, Lánthimos agrémente son cadre de détails au fil des bobines. Accessible à chaque paires d’yeux attentives, ils témoignent de la méticulosité du cinéaste. De plus, ces éléments renforcent l’ambiance d’un long-métrage radical.
Cette intransigeance se retrouve également dans le jeu des comédiens. Si Colin Farrell (et sa barbe broussailleuse) s’en tire haut la main grâce à un jeu en retenu, lâchant du leste plus la situation s’enlise, c’est Nicole Kidman qui retient toute l’attention. Désincarnée, elle est livre une prestation remarquable. Barry Keohgan, vu plus tôt cette année dans Dunkerque, campe un personnage à la naïveté malfaisante. Un vicieux candide à faire frémir.
Mise à Mort du Cerf Sacré est un grand film. Brillant, de par son atmosphère âpre, dévoilant ses facettes progressivement grâce une exécution minutieuse et glaçante. Pourtant, le film ne convainc pas dans ses derniers instants. Trahissant en partie tout le travail effectué plus tôt. Ainsi il manque de peu l’occasion d’être une oeuvre ultime, qui pourrait donner au travail de Yórgos Lánthimos le rayonnement qu’il mérite.