Science-fiction naturaliste
Avec Midnight Special, Jeff Nichols ne cherche pas à convaincre, j’y reviendrai plus tard, mais il ne cherche pas non plus à laisser le spectateur dans sa zone de confort. En effet, en sortant de la salle, j’ai ressenti une envie irrépressible d’y retourner immédiatement pour décortiquer le moindre plan, tant ce film est la quintessence de ce que j’adore dans le cinéma (si vous suivez ce blog vous commencez peut-être à avoir une petite idée de ce qui va suivre), à savoir : la puissance narrative de Nichols qui parvient à conduire un récit sans que les dialogues viennent paraphraser l’action et, comme dans Take Shelder et Mud, ses deux précédents films, sa capacité à traiter des thématiques simples mais universelles transcendant son sujet.
Mais j’ai également ressenti une profonde tristesse parce que je me doute bien que ce film aura du mal à trouver son public. En 2016, quel peut bien être le public d’un film de science-fiction naturaliste ? Sans vouloir en remettre une couche sur le cinéma grand public actuel (voir ma critique de Deadpool par exemple), ce film est bien trop respectueux de ses intentions de réalisation, reposant sur un certain réalisme, pour plaire à un public féru d’effets spéciaux numériques, de scènes d’action et d’un découpage épileptique. Donc, du côté du jeune public et du public de cinéma de genre d’aujourd’hui, ce film risque de faire un flop. Sauf que, et c’est là où le bât blesse, ce film risque également de dérouter le public habituel de Jeff Nichols. Et gageons que dès que les premiers éléments vraiment surnaturels apparaîtront (car il y en a), ce public risque de décrocher.
Tout compte fait, Jeff Nichols réalise une fois encore un film de genre d’auteur. Rien de surprenant à cela, le genre compte de nombreux auteurs en son sein, reste qu’en 2016 peu d’entre-eux privilégient une réalisation, disons, plus naturaliste.
Mais arrêtons de tourner autour du pot, de quoi parle Midnight Special ?
Résumé
Fuyant d’abord des fanatiques religieux et des forces de police, Roy (génialissime Michael Shannon), père de famille et son fils Alton (Jaeden Lieberher, encore un excellent et potentiel enfant star dont Hollywood a le secret), se retrouvent bientôt les proies d’une chasse à l’homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. En fin de compte, le père risque tout pour sauver son fils et lui permettre d’accomplir son destin.
Le sujet du film est la foi. Non pas une foi béate (l’impressionnante secte du début), mais plutôt une illustration subtile et modeste de la croyance en son prochain. Nichols nous propose en effet un discours à deux niveaux sur la foi. Celle des personnages entre eux et, surtout, celle du spectateur : est-ce que nous sommes prêts à nous détourner de nos certitudes pendant 1H30 ? Est-ce que le spectateur a encore la capacité de s’émerveiller au cinéma aujourd’hui et de croire ce qu’il voit ?
D’ailleurs, Jeff Nichols nous plonge, non sans talent dans ce questionnement dès le premier plan du film : le personnage principal vient enlever le bout de scotch qui bouche le judas de la porte de sa chambre d’hôtel et en même temps l’objectif de la caméra. Il semble nous dire : maintenant, vous êtes rentrés dans l’histoire avec les personnages, il va falloir que vous ouvriez les yeux autant qu’eux, car vous êtes au même niveau.
Car cette foi, c’est également une foi envers le spectateur qui sera pendant tout le film à la remorque des personnages : Jeff Nichols a le génie d’éviter quasiment pendant tout le film toute scène d’exposition ou de commentaire. Personnellement, j’ai jamais autant ressenti ce sentiment de perte de contrôle au profit de l’action pure. Et tant pis pour les éléments opaques qui parsèment l’histoire, ils seront révélés petit à petit grâce à la résolution progressive de l’histoire. Un coup de maître.
Mais surtout, ce que je retiendrai de ce film, ce sont les questions qu’il soulève sur la croyance en autrui : est-ce qu’un enfant va croire son père ? Est-ce qu’un père croit toujours son enfant ? Jusqu’à quel point ?
Quand votre fils vous dit : « It’s ok » (cf. la bande-annonce), est-ce qu’en tant que père vous avez de bonne raisons de le croire ? De toute, façon, comme le dira lui-même le personnage de Michael Shannon, c’est la règle du jeu de s’inquiéter pour son enfant : vous élevez un enfant, vous vous inquiétez pour lui et j’imagine que plus tard votre enfant aura beau essayer de vous rassurer, vous continuerez à vous faire du souci pour lui, même quand vous le laisserez partir. C’est la vie, c’est écrit comme cela.
Sur ces deux points, on sent poindre la relation, que je n’avais pas perçue dans ses précédents films, entre le cinéma de Jeff Nichols et celui de JJ Abrams dans Super 8 et, bien entendu, celui de Steven Spielberg. D’ailleurs, le clin d’oeil-hommage à Rencontre du troisième type est assez remarquable : la poursuite, l’attente d’un ailleurs et le fameux scientifique avec un nom français, Paul Sevier, joué par Adam Driver (très bon) faisant écho au scientifique joué par François Truffaut dans Rencontre.
Mais également, pour cette réalisation épurée qui se refuse de faire un produit de science-fiction spectacle, préférant utiliser des thématiques à mille lieux de nos préoccupations quotidiennes pour nous raconter des histoires qui nous sont proches autour de la filiation, de la famille au sens large et de la capacité à accepter de voir grandir ses enfants.
Car là où la comparaison avec Spielberg s’arrête de fonctionner, c’est que ce dernier est toujours resté collé à ses thématiques liées à l’enfance : le cocon familial dysfonctionnel comme safety zone en cas de danger extérieur, l’absence du père, la peur de grandir… Il n’a jamais su faire autre chose que de raconter ces histoires à travers les yeux des enfants (sauf peut-être dans son chef-d’oeuvre des années 2000 La Guerre des mondes). Chez Jeff Nichols, que ce soit dans Take Shelter ou dans Midnight Special, il est question, bien au contraire, d’un point de vue d’adulte : tout comme Michael Shannon, à travers ses yeux hallucinés et hallucinants, nous observons ce mystère de l’enfance que parfois nous avons, nous adultes, du mal à comprendre. Doit-on essayer de la contrôler ? Doit-on la surprotéger ? Ou, comme ce père, doit-on prendre conscience qu’il faut la laisser s’émanciper, peut-être pour toujours.
C’est avec toutes ces questions qui parlent, sans doute, plus à l’adulte qu’à l’enfant qui est en nous que Jeff Nichols parvient à se détacher sans mal de Steven Spielberg.
Quand Steven Spielberg nous contait des histoire positives, pleines d’espoir, car il le faisait à travers les yeux d’un enfant, Jeff Nichols assume sa mélancolie, car il sait que parfois, notamment lorsqu’il s’agit de voir grandir ses enfants, il faut sans doute savoir lâcher prise.
Dernier élément technique : Jeff Nichols a fait le choix de la pellicule, non pas par pur snobisme comme Tarantino (c’est pas grave hein, on l’adore Quentin !), mais pour obtenir un résultat encore plus réaliste. Le rendu est absolument remarquable notamment dans les scènes de nuit (qui représentent les 3/4 du film), car l’enjeu, encore une fois, est de questionner le réel : donc fini les teintes bleutées des scènes de nuit se déroulant dans les films en numériques. Et je vous rassure, vous ne verrez pas très bien tout ce qui se passe, mais les fulgurances paranormales n’en seront que plus impressionnantes 😉
Jeff Nichols, 37 ans, 4 long-métrages et, semble-t-il (je n’ai pas encore vu le premier Shotgun stories), 4 films remarquables. Vivement le suivant et, s’il vous plaît, faites-moi plaisir : allez le voir au cinéma !