Après une courte incursion dans le système Hollywoodien, Park Chan-Wook revient au cinéma coréen avec “Mademoiselle”, toujours dans un univers baroque.
Avant de voir le film, je pense qu’il est important de s’accorder sur un point. Ce film est très loin de ce qu’a pu faire le réalisateur auparavant, dans sa trilogie de la vengeance par exemple. Dans le cas présent, il s’agit plutôt d’une histoire d’amour codifiée comme un thriller. Ici, la violence est plus psychologique que graphique et, au final, on a un film plutôt “doux” (c’est d’ailleurs comme ça que Park Chan-wook a présenté son film avant la séance). La love story qui sert de fil rouge à l’histoire est vraiment réussie puisque la caractérisation de ces deux personnages et la mise en scène vont de paire pour un résultat très touchant et sulfureux. Le film est rythmé par des ruptures de ton assez fréquentes, mais toujours brillamment exécutées. On passe donc, comme je le disais précédemment, de séquences romantiques très touchantes à d’autres où l’érotisme délicat laisse place à une tension beaucoup plus palpable et parfois violente. Mais, comme dans beaucoup de métrages Coréens, le film est traversé par une ironie mordante et contient même des scènes vraiment drôles. Et tous ces tons sont maniés brillamment, de sorte à ce que le passage de l’un à l’autre soit naturel.
Si le film est aussi à l’aise avec tous ces genres qu’il cumule, c’est surtout grâce au travail de la mise en scène. Le découpage est utilisé comme véhicule pour les émotions et les différents tons. Dans sa globalité, le métrage est filmé de façon à sublimer son visuel baroque : des cadres millimétrés, parfois symétriques, de longs mouvements de caméra à la grue (notamment lors de la découverte de la maison par l’héroïne). Mais Park Chan-Wook se plaît à casser cette mise en scène pour renforcer l’intimité de certaines séquences (gros plans, rythme plus lent…) ou même leur intensité (caméra à l’épaule, découpage plus dynamique…). Et pour conférer au film une identité visuelle propre malgré la variété de sa mise en scène, l’équipe a énormément travaillé son esthétique. La photographie de Chung Hoon-Chung est à tomber, je pense qu’on tient là la plus belle photo de l’année tant elle suscite la rétine et nos émotions (splendides scènes d’amour sublimées par une lumière divine). La production design est elle aussi remarquable : les décors et les costumes mélangent la culture japonaise à du baroque purement anglais pour un résultat plutôt original.
Autre aspect brillant du film : sa structure narrative. Cependant, difficile d’en dire trop sans spoiler. Les trois premiers quart d’heures du film racontent donc le début d’une histoire d’amour touchante entre deux femmes sur fond de conspiration, tout ceci jusqu’à un twist. Mais en est-ce vraiment un ? En effet, la deuxième partie déconstruit l’histoire à laquelle on vient d’assister et vire plus dans le thriller (parfois glauque). Cependant, cette seconde partie a une signification forte vis-à-vis de l’importance du montage au cinéma. En effet, le spectateur se rend alors compte qu’il suffit d’amputer certaines scènes de quelques secondes ou même un seul plan pour raconter une tout autre histoire, qui se base pourtant sur une continuité assez semblable. Enfin, la troisième partie conclut brillament le mélange des genres du film avec sadisme (on reconnait bien Park Chan-Wook) et douceur. Le contexte du film est très intéressant, puisqu’il permet de parler d’une période charnière de la Corée du Sud : sa colonisation par le Japon. En n’abordant ce thème qu’en filigrane, Park Chan-Wook développe son point de vue (peu rancunier) en utilisant l’histoire d’amour comme métaphore, ne noyant donc pas son intrigue dans son propos.
Park Chan-Wook signe donc avec “Mademoiselle” un grand film en costume, porté par des acteurs impeccables et une mise en scène brillante. On tient là un des meilleurs films de l’année.