Wes Anderson, dans son deuxième film d’animation, opère une révolution au sein de son univers. Alors que ses récits étaient coupés du monde, égarés, ou plutôt retirés dans le système mental, mélancolique et coloré du réalisateur, L’Ile aux Chiens s’ancre, tout en restant empreint d’excentricité, dans une approche politique.
Anderson développe donc avec L’Ile aux Chiens (Isle of Dogs) son univers animé, par un récit politique, comique, et avant tout empathique. Le réalisateur donne vie à un monde chaud, abondant et serré, complet. Au sein de ce microcosme se mêlent plusieurs styles d’animations, l’un principal, en stop-motion, le réalisateur restant fidèle à la technique de Fantastic M. Fox, et d’autres, lorsque l’on montre des écrans par exemple, inspirés des techniques japonaises. Cette multiplication tend à densifier encore une image faste et rapide. Le monde japonais, sa rigueur, sa culture et son architecture se fondent parfaitement dans le cinéma rigoureux d’Anderson, l’ensemble donnant vie à une imagerie réjouissante et hautement poétique, appuyée par la composition de Desplat, sobre comme à l’accoutumée, mais frappante de par son acculturation ambiguë avec les sonorités du pays. En résulte une dystopie étrange, qui travaille la Science-Fiction sur un mode nostalgique et feutré, entre futur et tradition.
Tout ce petit univers de carton est peuplé par des hommes, très en retrait, soit quasiment muets, soit tyranniques, les seuls bénéficiant d’un traitement relativement positifs étant les enfants. Les personnages de ce film, et les réels référents du spectateurs, sont les chiens. Ceux si sont incarnées par des voix coutumières du cinéma d’Anderson (les voix françaises semblent d’ailleurs elles aussi prometteuses). Cranston (le petit nouveau de ce casting), Johansson, Norton, Murray, Goldblum, Keitel, et de nombreux autres donnent à ces animaux l’humanité qu’on attend d’eux. La texture familière de ces voix parvient à créer pour ces figurines que l’on sait inanimées, une empathie au moins égale à celle que l’on pouvait avoir pour Steve Zissou, ou M. Gustave H, le concierge du Grand Budapest Hotel.
Image technique donc, et faite de symétries ; sonorités douces ; casting familier, L’Ile aux Chiens porte la marque Wes Anderson. Mais il s’y opère pourtant une mutation : l’image poétique d’Anderson vient désormais appuyer un propos engagé, et non dissimulé. La parabole devient évidente. Après l’existentiel, c’est le politique, dont on avait pu voir quelques saillances dans The Grand Budapest Hotel et dans Fantastic M. Fox, qui vient sous-tendre le cinéma tempéré et cotonneux du réalisateur. Et sa mise-en-scène, sans changer, parvient à servir ce propos comme il servait le précédent. Le dramatique se fait plus fort, sans que le comique ne soit mis à l’écart dans ce cinéma rigoureux, pince sans rire et drolatique. Les timings sont toujours maitrisés, l’humour prend son temps, déclenche ses effets au moment opportun et balade les sentiments du spectateur de la joie et de l’amusement jusqu’aux larmes. L’animal au cinéma, qui ne manque jamais de travailler les glandes lacrymales, notamment lorsque son destin est mis en tension avec un enfant ou du moins que le film s’adresse à un jeune public (Belle et Sébastien, Le Roi Lion, Les 101 Dalmatiens, Bambi, Deux Frères et la liste est encore très longue) est ici utilisée pour sensibiliser à un phénomène humain. Anderson traite de l’exclusion, de la manipulation des foules, d’un écart idéologique entre un gouvernement et ses gouvernés, et (à la façon d’un Woody Allen dans Bananas ou d’un David Fincher avec Fight Club), évoque même avec un pessimisme mesuré le risque qu’un soulèvement idéologique devienne lui même une nouvelle dictature.
On le sait, le succès de Wes Anderson ne se dément pas. Son style, maniéré, extravagant, est assuré de rencontrer un public extatique face à sa maestria visuelle, si bien qu’il ne semble jamais changer. Peut-être, comme cet autre réalisateur au style si marqué, subira-t-il le sort d’un Burton, et sera taxé de fainéantise, critiqué pour son manque de renouvellement et ses récits calqués les uns sur les autres. C’est déjà le cas. Mais son cinéma, pourtant, évolue, et se fait ici pour la première fois abondamment politique, dimension que sert une forme dont votre rédacteur, en tout cas, ne se lasse pas.