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Qu’est-ce qui fait une série tv culte ? Partie 2

By 21 janvier 2015avril 9th, 2018Gros plan
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Les séries tv ont donc dépassé le champ qui leur était réservé jusqu’alors : celui du pur divertissement qu’on oublie aussitôt visionné. Voici la deuxième partie de notre article sur les séries cultes.

Networks et compagnie

Nous avons vu précédemment (voir la première partie ici) que, sous l’impulsion de quelques auteurs innovants, les séries commencent à faire leur révolution dès les années 1970-1980.

Le long règne des networks

En même temps, cette révolution repose, au final, sur les épaules de quelques personnes à la tête des grands groupes télévisuels. En effet, que ce soit en France ou aux États-Unis, ce sont les principales chaînes de télévision ou les networks qui ont longtemps fait la pluie et le beau temps. Jusqu’à la fin des années 1980, il n’y avait que trois gros networks aux États-Unis : ABC, CBS et NBC (Fox est arrivé en 1986). Ils faisaient la pluie et le beau temps car ils généraient le gros des revenus publicitaires. Les autres modes de diffusions étaient beaucoup plus marginaux. Les chaînes de TV sur le câble et le satellite se sont certes développées dès les années 1970, mais elles sont longtemps restées marginales dans le domaine de la création, faute de moyens financiers.

Par exemple, HBO (créée en 1972) ne diffusait ses programmes que 9 heures par jour jusqu’au début des années 1980 et sa première création originale a été un téléfilm intitulé The Terry Fox Story, un biopic sur Terry Fox, un coureur à pieds qui a été amputé d’une jambe (donc ce serait plutôt un coureur « à pied » ?). On est loin des Soprano… La chaîne vivote comme cela entre rediffusions, retransmissions sportives et créations de téléfilms jusqu’au début des années 1990.

HBO et l’évolution des séries tv

C’est à ce moment-là qu’elle commence à innover en créant des séries TV originales, aidée en cela par quelques gros succès tels que la géniale Les Contes de la Crypte entre 1989 et 1996, la très belle Dream On (voir le premier épisode en VO) entre 1990 et 1996(les showrunners de la série Martha Kauffman et David Crane arrêteront la série pour se consacrer à la création d’une autre « petite série » dans le même genre : Friends). Ces séries utilisent un ton plus direct et ce, tout en approfondissant la psychologie des personnages. C’est le cas de Dream On qui ose aborder le sexe et la vie de couple de façon plus « frontale ». Cette série innove également en incluant des extraits de films anciens dans les épisodes, sensés nous faire comprendre ce qui se passe dans la tête du personnage principal.

Tout s’accélère en quelques années. Des sitcoms comme le Larry Sanders Show deviennent des succès immenses en quelques années et sont considérés aujourd’hui comme des séries cultes.

Les grands networks leur emboîtent le pas. D’autres séries comme Friends, produite par NBC, sont ouvertement réalisées sur le modèle des séries du câble et deviennent aussitôt des phénomènes de société. Seinfeld, produite également par NBC, créée par l’immense comique Jerry Seinfeld introduit un humour plus subversif dans la sitcom américaine. En parallèle, Code Quantum et X-Files viennent enrichir l’histoire (déjà riche) des séries TV de science-fiction. La série Urgence, quant à elle, révolutionne en quelque sorte le sous-genre des séries médicales, tandis que Law and Order bouleverse les codes des séries dites « procedural » (les séries consacrées à une enquête policière et judiciaire).

série TV culte the_larry_sanders_show-show
série TV culte

Les séries tv « totales »

Mais il faut attendre la fin des années 1990 pour voir apparaître la grande révolution des séries TV : les oeuvres globales à narration sophistiquée que j’appellerais les « séries totales ». L’explosion du nombre de ces séries s’explique par l’essor des chaînes payantes qui n’ont plus à se soucier de plaire au plus grand nombre mais, au contraire, à s’adresser à une niche. On s’aperçoit aujourd’hui que ces séries font tout de même des audiences remarquables.

Mais avant d’aller plus loin, je vais essayer de décrire en quoi elles sont totales.

Les 6 règles des séries tv totales :

Voici les six « règles » de la série totale telle que je la conçois :

  1. Elles sont créés par un showrunner apportant sa vision artistique et créative.
  2. La deuxième « règle » découle de la première : elles ont un univers reconnaissable immédiatement.
  3. Elles disposent d’un début et d’une fin, qui est parfois programmée.
  4. Elles doivent être vues du début à la fin sous peine de ne plus comprendre les enjeux narratifs.
  5. Elles se focalisent sur plusieurs personnages qui ont une part sombre, une personnalité complexe, ambivalente et parfois trouble.
  6. Les acteurs font partie du package : les acteurs sont iconiques et irremplaçables. Surtout, ils ne peuvent pas disparaître au cours de la diffusion de la série sans raison précise (comme Charlie Sheen dans Mon Oncle Charlie par exemple…).

Certaines séries TV peuvent bénéficier d’une ou plusieurs de ces règles, mais peu disposent en même temps de ces six règles. C’est pour cela qu’une série comme Twin Peaks, diffusée en 1990 sur ABC durant seulement deux saisons, est pour moi une série totale. Cette série illustre de façon radicale la vision d’un auteur, David Lynch, tout en déroulant une histoire sublime et captivante. En résumé, cette série est l’exemple type de la série totale.

Il n’est donc pas nécessaire que la série soit diffusée sur le câble pour être totale. Par contre, le câble, ou aujourd’hui les offres numériques comme Netflix, sont des espaces privilégiés pour les auteurs qui, souvent, disposent de moins de contraintes marketing ou financières pour réussir.

Ainsi, ces dernières années, des séries dramatiques comme Les Soprano, OZ, Six Feet Under, The Wire, Girls ou True Detective ont pu voir le jour sur HBO ou Dexter, Weeds, Dead Like Me, sur Showtime et la plus grande série dramatique actuelle, Louie, sur FX, Mad Men et The Walking Dead sur AMC et South Park sur Comedy Central.

Mais, ceci n’est pas une règle établie, bien au contraire. Par exemple, Lost est l’exemple parfait de la série totale diffusée sur un grand network, en l’occurence NBC. De même, Les Simpson (certes c’est une série d’animation mais qui oserait nier que c’est une série totale) est diffusée depuis 30 ans sur la Fox !

Par contre, en nous appuyant sur l’exemple des Simpson, il faut préciser qu’il y a une différence entre le créateur d’une série et le showrunner d’une série. La série Les Simpson a été créée par Matt Groening à la fin des années 1980 et il en demeure aujourd’hui le garant artistique. Ceci étant la série a connu de multiples showrunners dans son histoire (voir la liste ici), Matt Groening n’ayant été co-showrunner de la série que sur les deux premières saisons.

Et les séries tv plus anciennes alors ?

De même, de vieilles séries comme Le Prisonnier ou La Quatrième Dimension sont évidemment des séries totales. C’est un peu plus compliqué pour Miami Vice qui est certes dirigée par un showrunner exceptionnel, mais elle ne dispose pas de cette notion de narration complexe ni de cette capacité à avancer dans le temps avec ses personnages. C’est un peu la même chose pour les séries d’animation : les personnages des Simpson ne vieillissent jamais, pire même, pendant les premières saisons de South Park, Kenny mourraient à chaque épisode ! Comment ne serait-ce que tenter une seconde d’argumenter en leur faveur ? À vrai dire, si les personnages ne vieillissent pas physiquement dans Les Simpson et si l’intrigue ne suit pas un fil narratif cousu de fil blanc, il n’en demeure pas moins que l’histoire des personnages suit une ligne directrice et, aujourd’hui, des ramifications complexes s’opèrent entre la plupart des personnages. Et que dire de South Park où les auteurs introduisent depuis plusieurs saisons une narration visant à expliquer certains éléments qui nous apparaissaient absurdes dans le passé : l’explication des morts de Kenny par exemple ou la personnalité étrange des parents, sans même parler de la folie latente de Cartman qui est documentée avec précision et s’explique de façon intéressante et affinée depuis le début de la série (voir mon article sur la dernière saison de South Park).

Enfin, certaines séries peuvent nous questionner : c’est le cas de Docteur Who qui doit être vue davantage comme une institution qui a vécu plusieurs ères, donc plusieurs showrunners, et qui évolue dans le temps de manière surprenante, que comme une série classique. De même, les superbes séries Sherlock, de Mark Gatiss et Steven Moffat, les deux génies du scénario anglais qui ont également en charge Docteur Who, nous interroge sur ce qui est une histoire originale. Les scénarios des épisodes sont archi-connus, puisque directement adaptés des romans de Conan Doyle, et pourtant, ils sont innovants et nous surprennent à chaque fois. Cette série développe une énergie folle car elle ne se refuse rien sur le plan des rebondissements scénaristiques et surtout, sur le plan des trouvailles techniques. Cette série fait réellement un bien fou car, en tant que pur divertissement, elle nous permet également de croire en l’intelligence humaine, autant celle du personnage principal que celle des deux auteurs !

Parker Lewis, Malcom et les sitcoms pour ados

En empruntant ce chemin, des séries moins ambitieuses comme Parker Lewis ne perd jamais, Sauvez par le gong, Code Lisa ou Malcom ont clairement une identité propre. Mais elles ont leur limite, et en les citant toutes à la suite on le comprend aisément : elles sont très codifiées et répondent davantage à des besoins marketing (satisfaire un public-cible adolescent) qu’à une nécessité artistique. Là encore, il ne faut pas se leurrer : que ce soit les Networks ou les chaînes premiums du câbles, elles ne sont pas philanthropes et ont pour seul objectif de faire de l’argent. Mais, la grosse différence entre Parker Lewis et Malcom et des séries comme Les Soprano, Louie ou Six Feet Under, c’est que ces-dernières sont nées dans la tête d’un auteur et non dans la salle de réunion d’un producteur de TV. Breaking Bad, que je n’ai pas encore cité, est née dans la tête de Vince Gilligan et nulle part ailleurs. Les questions marketing n’ont été posées qu’une fois le principe de la série validée par les pontes de la chaîne. Ils ne sont pas dit, au contraire des créateurs de Parker Lewis : « tiens, si on faisait une série reprenant les codes de La Folle Journée de Ferris Bueller en cassant les codes du quatrième mur, tu sais c’est le truc en vogue en ce moment que les ados ont l’air d’apprécier ».

Twin Peaks - Fire Walk With Me

La série tv du 21ème siècle débute en 1960

Je me doute que vous attendez tous que je vous dise quelle est la série TV la plus représentative des séries totales ?

Il y en a une qui me vient aussitôt en tête, elle est en cours de diffusion et l’année 2015 verra sa conclusion (plus redoutée qu’attendue par les fans) : il s’agit de Mad Men. Cette série créée par Matthew Weiner est, selon moi, le parfait exemple de la série totale. Elle repose sur les épaules dans showrunner chevronné (il a tout de même écrit 12 des meilleurs épisodes de l’autre grande série américaine : Les Soprano) et tout dans cette série est méticuleusement étudié, y compris le dress code des personnages, un peu comme Miami Vice en son temps.

Cette précision d’orfèvre en a rebuté plus d’un, passé la surprise de la première saison. Mais, voir les personnages principaux d’une série américaine contemporaine (je veux dire tournée actuellement car, je le rappelle, l’action se déroule entre le début et la fin des années 1960) passer leur temps à fumer, boire et à jurer comme des chartiers, y a pas à dire, personnellement cela me fait très plaisir.

Mad Men, succès et retour à « l’anonymat »

L’effet de nouveauté a permis à Mad Men de faire la une de tous les médias grands publics. La série a été à la mode pendant un ou deux ans, ce qui est une bonne chose, mais, à mon sens, pour de mauvaises raisons. Car la série, bénéficiant certes d’une grosse promotion, a été mise sur le devant de la scène auprès d’un grand public qui s’est retrouvé décontenancé devant une série lente, très dialoguée et avec un personnage principal, l’immense Don Draper, à la personnalité opaque presque étrange ne parvenant pas à s’ouvrir aux autres (donc comment pourrait-il s’ouvrir au grand public ?).

Très logiquement, le grand public finit par se désintéresser de la série. Malgré tout, elle trouvera un noyau dur de fans, ce qui lui permettra de résister à la déprogrammation et sera plébiscitée par la critique au moins pendant ses trois premières saisons (elle reçoit, ce qui est une première, trois années de suite le Golden Globe de la meilleure série dramatique). L’ironie du sort voudra que les meilleures saisons de la série soient justement les saisons suivantes : les derniers mystères autour de la personnalité de Don disparaissent peu à peu jusqu’à une apogée aussi éblouissante qu’émouvante pour Don et sa famille à la fin de la saison six (la plus sombre et désespérée). La saison sept, diffusée en deux parties (la première a été diffusée l’année dernière, voir mon article ici), achèvera le cycle qui est celui d’un Mad Man qui a dû apprendre à devenir un homme et un père de famille.

Dans cette série poignante, les échos historiques ne sont que des marqueurs temporelles tandis que l’évolution des moeurs, elle, accompagne la lente mutation psychologique de notre « héros ». Les DVD de cette série en tous points sublime (et oui, j’ai encore des DVD) se placent dans ma bibliothèque juste à côté de romans psychologiques tels que Pierre et Jean de Maupassant ou Le Joueur de Dostoïevski.

Les séries tv, un peu de « culte » pour tout le monde

Pour conclure, je dirais que nos séries cultes nous accompagnent depuis toujours. Les « règles » que j’ai posé noir sur blanc dans cet article ne sont pas définitives, loin de là, mais m’ont permis de mettre des mots sur ce que je ressentais déjà. Attention, il ne faut surtout pas faire l’erreur de penser qu’on peut mesurer la qualité d’une série en se basant sur des critères objectifs, ce n’est pas une science, heureusement ! Pour ma part, j’adore des séries et sitcoms qui ne sont pas dans cet article (la géniale série The Office du grand Ricky Gervais, sans parler de Profit  cette série qui est sans doute arrivée trop tôt et qui a su mélanger American Psycho et Dexter 10 ans avant…), j’aime également me dire que chacun peut apprécier ou non une série. Par exemple, il est évident que Sex and the City mériterait de figurer dans cet article, de part la qualité de sa narration et de ses personnages, mais il est plus honnête de préciser que je ne l’ai que rarement regardée… Enfin, oui, il y a un grand absent dans cet article : Games of Thrones. Il est évident que cette série est une série totale, puisque adaptée respectueusement de romans qui, paraît-il, sont très bons. Mais, je n’arrive pas à accrocher à cette série que je trouve répétitive, alambiquée et, il faut bien le reconnaître, un brin putassière. Pour ces trois raisons, j’ose dire non à Game of Thrones. Je me doute que je vais en choquer quelques-uns, mais c’est aussi ça le revers de la médaille des séries dites de « niches » !

Aller, je suis tout ouïe, à vous de me donner votre avis !

Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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