Note de la rédaction :
Road-movie du troisième âge sans surprise mais pas dénué de qualités. En particulier un Donald Sutherland étincelant.
En voyant la bande-annonce, on pouvait craindre de ce que L’échappée belle promettait, malgré ses sélections à Venise et surtout au TIFF (le festival de Toronto, aujourd’hui considéré comme le deuxième plus important au monde). On pouvait avoir peur, parce que ce road-movie pour grabataire sentait bon le téléfilm France 3 avec son humour et ses arrêts sur le bord de la route (aire d’autoroute « émotions » et restau-grill « deuxième jeunesse »).
Mais voilà, si le film est fidèle en partie à ce que les extraits suggéraient, s’il ne surprend guère dans les grandes lignes de son scénario et de son montage, il évite pourtant de tomber dans la mièvrerie ou dans des émotions un peu trop faciles. Donald Sutherland est superbe en grand-père ravagé par Alzheimer, perdu, le sourire aux lèvres quand il ne faut pas, on sent chez lui le gamin encore là derrière les rides. Cette mémoire qui lui joue des tours lui offre un rôle en or mais déséquilibre un peu le film et force Helen Mirren, elle, bien consciente du drame qui s’annonce, de porter seule la charge émotionnelle du film. C’est souvent un peu trop pour ses frêles épaules (c’est dur quand un film la joue pudique mais en fait trop, malgré tout).
Ce qui est intéressant par ailleurs, c’est le contraste entre l’Amérique dont ces deux personnes âgées se souviennent au gré du film, et celle qu’ils traversent, un contraste résumé en somme dans le premier plan du film : une voiture imposante qui roule, une Ford, avec ce que son nom contient de force et de tradition, d’assise dans la culture américaine, et de cette voiture une radio et la voix de Trump qui hurle « make America great again ». Une façon de dire d’entrée, l’Amérique : ce qu’elle était et ce qu’elle est devenue. Et là Virzi n’évite pas quelques écueils qui font tomber un tout petit peu son film dans le commentaire réac. Il y a le défilé républicain avec les pro Trump, les jeunes abrutis avec leurs téléphones et leurs selfies dans la maison d’Hemingway et les enfants du couple, souvent inquiets ou à la ramasse, bref, pas une image tout à fait enthousiaste du présent aux États-unis. Le bon vieux « c’était mieux avant ». Il y a aussi une scène étrange qui ne dit pas tout à fait son nom, quand ils viennent faire le plein dans leur station service autrefois préférée et que ce sont maintenant des syriens qui tiennent le petit commerce, et ils sont charmants. Leur Amérique a changé, le film ne nous dit jamais si c’est pour le mieux. On sent une envie de commentaire politique sans toutefois aller jusqu’au bout, assumer un discours plus frontal.
Pourtant il y avait de quoi toucher le spectateur, le scénario réécrit à quatre mains d’après le roman de Michael Zadoorian est assez habile pour chasser les séquences larmoyantes d’un coup de mémorite aigüe. Aux séquences de diapo un peu gnan gnan se superposent quelques autres plus osées sur la vieillesse comme naufrage (Sutherland est incontinent, les scènes en maison de retraite sont faussement joyeuses) et on voit que Virzi aurait aimé jongler sur cette fine ligne douce-amère comme l’avait superbement fait Kaurismäki l’an passé (il s’agit alors presque de musique, de « contre-point » émotionnel mais il faut être un sacré mélomane pour jouer de cet instrument sans être grossier ou pompier).
Bref, contrat rempli modestement pour Paolo Virzi et ses beaux acteurs chasseurs d’Oscars sur le tard. La route one USA du nord jusqu’à Key West en Floride offre moins de magie que chez Robert Kramer (revoyez son documentaire, un des plus beaux jamais réalisés) mais elle garantit suffisamment de péripéties pour tenir le spectateur alerte. Quand nos vieux s’encanaillent, on a même entendu quelques rires timides dans la salle. Si vous le ratez, pas de problème, il profitera sûrement un jour d’une redif sur France 3 !