Quelle est la première salle de cinéma emblématique de Lyon ? Non, elle n’a aucun lien avec les frères Lumière ni avec la société Pathé. Cette salle, c’est Le Nouvel Alcazar à Lyon.
Précédemment, nous avons vu que l’essor du cinéma à Lyon a été rendu possible par plusieurs facteurs dont le premier a sans doute été la libéralisation du théâtre. Si ailleurs en France, le cinématographe s’impose instantanément comme une curiosité dans les foires et les fêtes foraines, à Lyon c’est surtout grâce à des tournées itinérantes dans des lieux de spectacles préexistants que ce spectacle prend son essor. Il touche en cela une population moins encline à fréquenter les animations populaires.
Si dans les premières années de son exploitation, le spectacle cinématographique attire un public fasciné par la technologie elle-même, la situation évolue rapidement : 10 années après sa création en 1895, le cinématographe n’impressionne plus grand monde. Par contre, le public continue de se déplacer pour découvrir les films projetés. D’un spectacle misant sur le choc technologique, le cinématographe devient peu à peu un spectacle culturel. C’est dans ce contexte que des séances événementielles sont organisées par des tourneurs professionnels dans des salles dédiées.
Le Nouvel Alcazar
A Lyon, la première et la plus emblématique de toutes est sans doute Le Nouvel Alcazar. Située avenue de Saxe à Lyon, elle est inaugurée en 1882 pour accueillir des spectacles forains. Mais en 1904, elle devient une véritable salle de spectacle polyvalente.
C’est à ce moment que la programmation de la salle évolue pour accueillir aussi bien des cirques forains que des bals, concerts et… les premiers spectacles cinématographiques…
Loin des projections événementielles où le spectacle est moins la qualité de ce qui est montré que le fait de le montrer, Le Nouvel Alcazar inaugure le concept de spectacle cinématographique à Lyon : on ne vient plus seulement découvrir une invention, mais pour le contenu du spectacle.
« Un spectacle merveilleux et un enchantement des yeux » peut-on lire dans Le Progrès du 15 septembre 1905.
Les séances sont proposées par la Tournée de l’Imperator, un exploitant proposant des vues cinématographiques. Ce sont ces projections qui attirent le public et ce, pour une durée de plus trois heures. Là est la véritable évolution avec les attractions passées d’une durée bien moindre.
La salle
Située à l’angle du 220 de l’avenue de Saxe et du 35 de la rue Moncey dans le troisième arrondissement de Lyon, Le Nouvel Alcazar est une salle en bois, comme il s’en faisait encore beaucoup à l’époque.
Le Nouvel Alcazar vers 1908
Pourquoi ce nom ? Tout simplement parce qu’il y eut 2 salles nommées l’Alcazar à Lyon. La première, construite en 1844, est située près des Brotteaux, à l’angle de la rue Vendôme et de la rue Sully. Elle fut démolie en 1877 pour permettre la construction de l’Eglise de la Rédemption. La deuxième ouvre ses portes au 34 rue de Sèze, à l’emplacement de l’ancienne Rotonde.
Le Nouvel Alcazar – Programme de 1856
C’est donc en 1882 que Le Nouvel Alcazar est inauguré par Théodore Rancy (1818- 1892), célèbre créateur et directeur de cirques fixes dans plusieurs villes de France à l’angle de l’avenue de Saxe et de la rue Moncey. Pour les lyonnais, on renomma la rue des Rancy en hommage à cette vieille famille circassienne à l’origine d’une longue liste de cirques à Lyon, Genève, Amiens…
Affiches des cirques Rancy
Difficile de retrouver des témoignages de l’époque, mais sur le plan architectural, Le Nouvel Alcazar avait tout d’un bâtiment iconique. La façade entièrement en bois avait des allures de chalet, 5 marches donnaient accès à trois grandes portes en plein cintre, flanquées de deux autres plus étroites. Des panneaux destinés à l’affichage étaient disposés entre elles.
L’étage était à l’avenant. 3 fenêtres aux belles proportions disposaient toutes d’un balcon à balustre en bois, 4 statues représentant des hommes portant des torches ornaient la façade en pignon sur rue.
Le Nouvel Alcazar – perspective
La toiture, quant à elle, était bordée d’un panneau en bois découpé tel un feston dentelé, le tout ornementé de statues « grecques » à chacune des jointures. 2 grosses lampes à arc venaient compléter ce décorum.
Enfin, une enseigne Rancy venait ornementer cet ensemble déjà chargé.
La vaste piste entourée de gradins comportait environ 5 000 places : 1 200 en première catégorie, 1 300 en seconde et 2 500 en troisième.
Une coupole assez impressionnante pour ce type d’ouvrage complétait le tout et surtout devait être très utile pour les numéros aériens et de grandes écuries.
Le cinématographe
Suite au vote en 1904 par la municipalité lyonnaise d’une taxe locale qui imposait fortement les chevaux, assimilés à des animaux de luxe. les Rancy abandonnèrent cette salle.
Le Nouvel Alcazar propose alors des concerts, bals… et beaucoup de séances de la nouvelle attraction en vogue : le cinématographe.
En 1905, Le Nouvel Alcazar accueille son premier spectacle cinématographique avec la tournée de l’Impérator Cinématographe.
D’après un extrait du Progrès, en date du 15 septembre 1905 : « Le grand cinématographe parlant, avec un programme monstre, comprenant plus de 30 scènes composées de plus de 100 tableaux. Tout cela […] forme le spectacle le plus merveilleux que l’on puisse voir. Ce sera pendant près de trois heures une succession de chefs d’œuvre et un enchantement des yeux. »
Les séances sont entièrement composées de vues cinématographiques et durent plusieurs heures. Ainsi, les spectateurs qui se rendent au Nouvel Alcazar viennent donc uniquement pour assister aux projections. Il s’agit, comme le souligne Renaud Chapelain, d’une rupture fondamentale : on passe pour la première fois d’un spectacle d’un quart d’heure, que la durée assimile plus à une attraction, à un spectacle complet occupant toute une soirée (Chapelain, Renaud, Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise, thèse d’histoire, 2007, Université Lumière Lyon 2).
Avec un programme de près de trois heures, le cinématographe transcende dès lors son statut d’attraction de fête foraine. Désormais, on se déplace pour voir uniquement ce spectacle composé d’images en mouvement.
Grâce à ce succès, les programmes de l’Imperator, qui sont renouvelés chaque semaine, restent à l’affiche du Nouvel Alcazar durant six semaines, jusqu’au 28 octobre 1905.
Le Nouvel Alcazar représente un peu de ce qui fait la singularité du cinéma : à la croisée du spectacle, de l’art et des traditions populaires, on s’y déplace en masse dans un lieu clos pour s’y consacrer pendant plusieurs heures.
Qu’est devenue la salle ? Devenue le Music-Hall Oger en 1918, la salle se spécialise dans le spectacle vivant, le cinéma ayant pris son essor dans d’autres salles spécialisées.
Mais faute d’entretien et en raison du mauvais état de la galerie des secondes, elle est finalement démolie en 1941.
Démolition du Nouvel Alcazar en 1941 – Archives municipales de Lyon
Certes disparue et oubliée de tous, Le Nouvel Alcazar est, au même titre que la maison des frères Lumière, une partie intégrante de l’histoire du cinéma à Lyon. A ce titre, cette salle mériterait sans doute un jour un hommage dans la ville du cinéma.