Difficile de faire plus formaliste tout en respectant ouvertement et sans ambiguïté le cinéma de genre que Laissez bronzer les cadavres, le dernier bijou de Hélène Cattet et Bruno Forzani. Critique.
Laissez bronzer les cadavres est une adaptation fidèle du roman noir de Manchette, publié en 1971. Tout y est : Luce, une femme oisive détestant la vie en société et en particulier les flics, le hameau en ruines dans lequel elle invite des amis peu recommandables, un braquage effectué par ces derniers, un magot donnant des envies de trahison. Et surtout : un style aiguisé comme une lame de rasoir que l’on retrouve dans les plans taillés à la serpe de Cattet et Forzani, une violence inouïe relevant autant d’une envie d’en découdre avec la société de consommation que du plus pur et jouissif exercice de style et cette temporalité omniprésente, presque étouffante. Seule différence : l’action a été transposée en Corse, ce qui permet à Cattet et Forzani de jouer avec la lumière étincelante et les couleurs franches, presque primaires, de l’île.
Reprenons dans l’ordre. Laissez bronzer les cadavres est un cas d’école reposant sur un triptyque fort appréciable pour qui aime le cinéma de genre : une histoire simple (une shotgun story), une unité de temps (une journée) et de lieu (un hameau en ruines) et des personnages iconoclastes interprétés par les plus belles gueules du cinéma français.
L’histoire est le socle du film, sa simplicité lui permet de tenir. Ou plutôt, elle lui offre un écrin permettant à Cattet et Forzani de déployer toute leur folie formelle. Rarement nous avons eu l’occasion de voir des images aussi dingues et exécutées avec un tel aplomb dans un film de genre français. Tout y passe : des gros plans omniprésents, si nombreux qu’on se croirait dans L’Aventure intérieure de Joe Dante, des cadrages osés et parfois magnifiques, un jeu avec les ombres et la lumière bluffant, le tout rehaussé par un travail sur le son aux petits oignons.
Le choix de respecter l’unité de temps et d’action du roman est logique puisque ce dernier reposait essentiellement sur ce dispositif assez innovant pour l’époque. On regrettera néanmoins qu’il s’en dégage, sur la longueur, une certaine lassitude que les nombreux inserts ne font que malheureusement souligner. Heureusement, le duo de réalisateurs a sans doute pressenti le problème et a su intégrer des séquences de pure fantasmagorie venant court-circuiter cette trop belle mécanique.
Si le dispositif formel est évidemment un point fort, l’élément central qui fait que l’ensemble de l’édifice tienne artistiquement la route c’est la cohérence et la puissance du casting : Marc Barbé vus chez les meilleurs cinéastes français, Bernie Bonvoisin qui nous manquait énormément, Stéphane Ferrara, ancien boxeur à la carrière en pointillés, Elina Löwensohn, vue dans des œuvres fortes comme le Sombre de Philippe Grandieux et dernièrement souvent associée aux projets improbables du talentueux Bertrand Mandico et Pierre Nisse, vu notamment également chez Grandieux.
Laissez bronzer les cadavres est sans doute le film le plus abouti de Hélène Cattet et Bruno Forzani. Un brin arty mais très artisanal, bourré d’énergie et d’idées de mise en scène, ce film se pose en nouvel étalon du film d’action indé français. Moins influencé par le cinéma de genre des années 70-80 que par le cinéma indé américain des années 90, Laissez bronzer les cadavres propose avant tout une vision très personnelle et renouvelée du genre et marquera à coup sûr son époque.