Note de la rédaction :
Dans un film bancal et déroutant, Denzel Washington se taille la part du lion. À voir, pour ce que le film propose en décalage certain avec la production actuelle.
Dan Gilroy, si vous ne remettez pas tout à fait, c’est un scénariste qui avait notamment écrit un des Jason Bourne et qui est passé à la réalisation en 2014 avec « Night Call » (ou « Nightcrawler » en version originale). Un film étrange, fascinant mais maladroit dans lequel Jake Gyllenhaal chassait le scoop sanglant avec un appétit dérangeant. On y voyait Los Angeles la nuit, particulièrement bien filmée, et donc un personnage perdu, ambitieux mais aussi légèrement autiste, qui finissait par se prendre les pieds dans son propre délire. À beaucoup d’égards, « L’affaire Roman J. Israel Esq. » ressemble comme un faux frère à ce premier film et les deux forment un diptyque intéressant, comme le recto et le verso d’une pièce.
Là où « Night Call » rendait l’atmosphère de L.A. de nuit, « L’affaire Roman J. » filme la ville, sans grand éclat (volontairement) de jour. Denzel Washington, qui aurait pris une quinzaine de kilos pour le rôle joue lui aussi un personnage foncièrement inadapté, en dysfonctionnement, et comme Gyllenhaal, à la fois trop malin et trop aveugle pour vraiment réussir. La performance d’acteur est remarquable : Washington est le contraire de ce qu’on connaît de lui : mal dans sa peau, sans charisme, avec sa démarche lourde et ses vestes mal coupées.
Il est, comme l’était Gyllenhaal, un personnage assez complexe et plutôt bien écrit, qui attire l’attention et la refuse, avocat engagé auprès de petits clients sans défense, loin du faste du cabinet de requins dirigé par Colin Farrell. Il porte en lui la nostalgie d’une certaine époque, celle du mouvement des Civil Rights (donc surtout les années 1960), et se considère comme un homme en résistance, même si son incapacité à coexister avec le monde qui l’entoure fait de lui un marginal. Oui mais il connaît ses livres de loi par coeur et gagne les cas qui lui sont confiés. Il excelle dans ce seul et unique domaine.
Le film va lentement basculer vers autre chose, plus proche d’un thriller attendu, lorsque le petit cabinet d’avocats de Washington doit fermer et que Colin Farrell le prend sous son aile dans son immense cabinet d’affaires. Dan Gilroy est habile à la réalisation, dans un style discret et un peu à l’ancienne, façon polar des années 1990, ce qui porte la première heure et ses mystères avec élégance. Gilroy aime développer ses personnages loin des archétypes et son film ne cherche pas un rythme qui ne serait pas le sien ou des effets à la mode. On se demande comment tout cela va tourner. Comment Ce Roman J. Israel va se transformer en improbable héros, lui qui semble toujours sur le point de se saborder. En filigrane, il y a la tentative d’un homme d’une autre époque qui aimerait résister aux attraits d’aujourd’hui. Il a gardé son vieil ordinateur, son portable à clapet, ses vinyles et ses lunettes 1970´s.
Plus encore il y a un discours politique, sur cet avocat noir qui défend les petites gens. La scène où il se fait attaquer dans la rue par un junkie blanc donne par exemple à réfléchir. Quelques minutes plus tôt, il s’était embrouillé avec des « frères » dans un réunion de quartier où son discours vieillot ne passait plus auprès de la jeune génération. Autant de paradoxes qui intriguent. Autant de regrets à avoir sur la suite du film.
De l’ambiguïté, de la complexité de son personnage, Gilroy ne s’embarrasse finalement pas trop. Il a un thriller à terminer et il a déjà manger un bonne heure de son temps imparti. Donc, de décisions incompréhensibles, en amourette bâclée, notre anti-héros se retrouve avec une mafia arménienne aux trousses et Colin Farrell qui lui fait les gros yeux. Difficile de continuer à s’intéresser sérieusement à la vague caricature qu’offre le film, inquiétant, à cours d’idées, finissant par faire du petit avocat un héros magnifique. Il y a autant de manque d’inspiration dans les dernières trente minutes que de bonne volonté et de talent dans la première moitié de ce film si étrange. Nous retiendrons volontiers les aspects positifs afin de redonner une chance à ce Dan Gilroy et ses visions d’un Los Angeles à la marge.