Voici notre critique de La Trahison de Philippe Faucon, film franco-belge sorti en 2006, avec Vincent Martinez et Ahmed Berrhama.
La guerre, c’est nul !
J’ai un ami qui n’aime pas les films de guerre. Pour lui, ces films disent toujours la même chose : « la guerre, c’est nul ». Du coup, selon lui, cela réduit considérablement l’intérêt d’aller les voir même s’ils sont bons (il est quand même parti en pleine séance de la 317e section de Pierre Schoendoerffer ! Je pense qu’on peut dire qu’il exagère quand même un peu). Cela dit, il n’a pas complètement tort et je dois dire qu’à chaque fois que j’en vois un, un film de guerre, je me pose la question : qu’est ce que c’est que ces gens du sexe soit disant fort qui acceptent de faire des trucs pareils ? C’est effectivement très nul.
Cependant, je ne partage pas l’avis de mon ami et comme le dit si bien Karl Valentin (comédien et réalisateur allemand) : « tout a déjà été dit, mais pas par tout le monde ». Je rajoute à cela, pour rester dans les références germaniques, que nous passons quand même notre temps à refouler beaucoup de choses (Freud) et qu’on peut bien nous dire une fois que la guerre c’est nul, il se peut tout de même, dans la mesure où il nous faut bien continuer à vivre, que nous refoulions cette information et finalement oublions le fait que la guerre est encore là, bien présente un peu partout, avec son lot de victimes innocentes justifié par n’importe quoi. Si cet état de fait nous était bien présent à l’esprit, nous passerions tous notre temps à manifester plutôt que d’aller boire un verre avec des amis ou regarder des films de guerre au cinéma.
Et oui, la guerre, c’est nul ! Et ici, en l’occurrence, la Guerre d’Algérie, c’était nul !

La recette du bon film
Philippe Faucon n’a certes pas inventé la recette du bon film mais c’est un bon cuisinier (à recommander également son film de 2008 Dans la vie). L’histoire est bonne (une adaptation du roman de Claude Sales qui relate sa propre histoire), le scénario est bon, les dialogues sont bons, les acteurs sont bons voire excellents (Vincent Martinez, Ahmed Berrhama, Cyril Troley, Patrick Descamps), les images sont belles (oui, je sais, c’est dangereux de dire d’un film que les images sont belles, car trop de réalisateurs pensent que l’essentiel est là), c’est efficace, intelligent, sensible et englobant.
L’histoire en bref
Pour développer ces quelques points, car il faut bien développer un peu :
Nous sommes en 1959. Le lieutenant Roque (25 berges grand max) évolue dans une région infestée de fellaghas (ou fellagas, le Larousse 1973 accepte les deux orthographes) où les troupes françaises demandent aux villageois de rejoindre des camps/bidonvilles contrôlés par l’armée. Le jeune Lieutenant Roque (Vincent Martinez – en aparté : c’est le frère d’Olivier Martinez, donc il a été un temps le beauf’ de Kylie Minogue, mais on ne peut pas lui en vouloir – comme dirait Renaud, on choisit ses copains mais rarement sa famille), le lieutenant Roque donc, s’occupe avec humanité de sa section qui est, entre autres, composée de quatre appelés algériens (Taïeb, Ali, Ahmed et Hachem) qu’il nomme presque affectueusement ‘ses musulmans’ et qui font office de traducteurs lors des rencontres avec les populations locales. Un jour, le capitaine Franchon (Patrick Descamps) convoque Roque pour lui annoncer que des informations sérieuses laissent à penser que les quatre Algériens ont en fait dans l’idée d’aider les fellaghas à attaquer le poste et que lors de l’opération Taïeb est chargé d’égorger le jeune lieutenant. Voilà le pitch.
Quand je vous dis que le scénario est bon c’est parce que nous sommes amenés à cette situation extrême sans qu’elle soit si évidente que ça. On a bien vu dans la première moitié du film que les quatre Algériens peinent à trouver leur place pour la simple et bonne raison que la place qui leur est assignée est intenable. Quoi qu’il arrive à ces quatre là, il n’y a plus de bonnes solutions. Et pourtant, ce sont des types calmes, qui ont toujours l’air de réfléchir à une issue humaine, respectable et juste (des idéalistes ?). C’est là que je glisse une mention spéciale pour Ahmed Berrhama qui incarne Taïeb (qui n’a malheureusement fait qu’un autre film depuis – Reviens nous Ahmed ! Où es tu ? Que fais tu ?). Cet acteur est une merveille qui nous joue, tout en rondeur, avec économie et subtilité, le type paumé mais terriblement intelligent (à voir dans le même registre : Benicio del Toro dans l’excellent Jimmy P. : psychothérapie d’un Indien des plaines d’Arnaud Desplechin).
Quand je vous dis que les images sont belles c’est d’abord parce que l’Algérie ça a l’air magnifique (j’y suis jamais allé). Faucon et son équipe ont tourné à Boussaada, à 240 km au sud d’Alger, et cela faisait une dizaine d’années que plus personne ne tournait en Algérie pour des raisons de sécurité à cause des événements que l’on sait. Mais concrètement, il n’y a pas que ça et Faucon sait mettre en valeur ces paysages par des plans larges où il fait évoluer dans de belles compositions ses personnages, qui se fondent dans les couleurs, la lumière crue où les ombres profondes.
Si tu veux du sang, des explosions, des cris, des héros, ce film n’est pas pour toi
Cette guerre est lente, aucune action héroïque à l’horizon, des embuscades secouées de quelques rafales, on discute de rochers à rochers, on balance une grenade. On ramasse les morts (il n’y en a jamais des tonnes). Point. Le rythme du film est celui de la marche lente et des interrogations. On est presque parfois dans la promenade philosophique. Pas de musique pour accompagner le tout (mais le film est encadré par la belle composition de Benoît Schlosberg).
Ce film est définitivement intelligent (aussi intelligent que La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo mais pas aussi innovant) ; Faucon a choisi l’efficacité d’une construction et d’une grammaire classiques. Il joue des références et le corps de ce jeune soldat le nez dans l’herbe fait immanquablement penser au Dormeur du val. Cette approche de la guerre à l’aune de destins humains singuliers est englobante au sens où tout est abordé : la torture, les pauvres jeunes du contingent qui préfèreraient faire des auto-tamponneuses avec leur copine dans leur village d’origine, le salaud de service, la mort des combattants, la peur et la fierté des villageois algériens devant les soldats en armes. Tout y est, jamais appuyé mais bel et bien là.
Au fond, ce film de guerre est un drame psychologique avant tout, drame qui se noue entre Roque et Taïeb. Un assassinat est prévu : un homme respectable va être amené à tenter d’assassiner un autre homme respectable. Mais Faucon le sait, ils ne sont pas du même côté de l’Histoire ; et l’Histoire est du côté des Algériens. Comme Taïeb le dit si bien : « Vive l’indépendance, mon lieutenant ! Vive l’Algérie ! »
Tout cela m’a donné envie de voir La désintégration (de Philippe Faucon également) un film de 2011 qui raconte le basculement de trois jeunes Lillois dans le terrorisme islamiste. Ça vous rappelle rien ?