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La-Isla-Mínima
Note de la rédaction :

La Isla mínima d’Alberto Rodríguez est le thriller espagnol de ces dernières années si l’on en croit le plébiscite récolté par ce film de l’autre côté des Pyrénées : auréolé de dix goyas, l’équivalent ibérique des césars, et d’un solide box-office à faire pâlir d’envie Olivier MarchalLa Isla mínima se pose en modèle du renouveau du cinéma d’auteur espagnol. Vraiment ? Critique.

Synopsis :

Dans l’Espagne des années 1980, deux policiers que tout oppose Pedro (Raúl Arévalo, vu notamment dans Les Amants passagers de Pedro Almodóvar) et Juan (Javier Gutiérrez, star de séries télé en Espagne) sont envoyés depuis Madrid dans les marais du Guadalquivir pour enquêter sur la disparition de deux adolescentes pendant les fêtes locales d’une petite ville andalouse. Au coeur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence,  ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.

Un True Detective espagnol ?

Le film se déroule en 1980 alors que l’Espagne vit une transition démocratique qui n’a pas encore conquis l’ensemble du territoire : dans leur chambre d’hôtel, les deux flics découvrent des photos de Franco et de Hitler accrochées au crucifix, ce qui a pour effet de dégoûter définitivement Pedro, le jeune flic, qui a écopé d’une mutation disciplinaire, quelques années plus tôt, pour avoir dénoncé un supérieur corrompu…

Dans des paysages hallucinants et méconnus au cinéma (qui sait qu’en Andalousie, il y a des rizières à perte de vue avec une faune et une flore qui feraient passer la Camargue pour un vulgaire marécage ?), le système économique presque féodal fait que de grands propriétaires terriens sont au-­dessus des lois, avec la bénédiction des autorités préférant réprimer les ouvriers agricoles en grève.

Cette injustice, Pedro, le plus jeune des deux enquêteurs, la prend de plein fouet. Son partenaire de circonstance a moins de scrupules : Juan est le genre de flic qui tape d’abord pour arracher dans le doute d’éventuels aveux. Pedro apprendra à ses côtés qu’il faut parfois en passer par là pour faire avancer une enquête s’embourbant dans le marasme d’une corruption et d’un clientélisme difficile à appréhender pour ce madrilène. 

L’un des points forts de ce film est ce duo formé par les deux policiers enquêteurs que tout sépare : un jeune idéaliste madrilène détestant tout ce qui rappelle de près ou de loin l’Espagne franquiste et un un policier à l’ancienne un peu plus rond, violent, alcoolique, plus enclin à détourner la loi pour le bien de son enquête, mais qui demeure plus mystérieux qu’il n’y paraît. Ce mystère est sans doute ce qui a de plus intéressant dans ce film. Que cache ce flic un peu rustre et pourquoi ne semble-t-il jamais pouvoir/ou avoir envie de dormir ?

Par contre, le mystère s’arrête un peu là et le reste du film – sur le plan du scénario du moins – se contente de dérouler une histoire et des dialogues assez convenus pour qui a déjà frayé avec les enquêtes policières sur la disparition de jeunes filles… On est loin de l’ambiance hallucinée et poissarde de True Detective et on se rapproche plus d’un film européen haut de gamme qui tenterait d’imiter les meilleures productions auteuristes qu’elles soient américaines ou asiatiques.

En effet, nous avons donc affaire à un duo moustachu « que tout oppose » assez classique (good cop/bad cop, le jeune/le vieux, l’idéaliste/le corrompu) qui est obligé de coopérer pour résoudre une enquête hors-norme. Car oui, on apprendra assez rapidement que la disparition des 2 jeunes filles s’avèrent bien plus horrible que cela… Cet événement mènera les 2 enquêteurs sur les traces d’une machination incluant des meurtres fétichistes sur fond de crise économique et politique au coeur d’une bourgade où les non-dits font régner une ambiance glauque.

la isla minima

Un film techniquement superbe

Passé ces quelques bémols sur un scénario et des dialogues frisant parfois le cliché, il faut reconnaître à ce film un pouvoir d’attraction remarquable grâce notamment à une photo à couper le souffle.

Si on excepte cette incapacité qu’ont les réalisateurs contemporains à concevoir un film se déroulant dans les années 1970-80 sans ajouter un excès de pittoresque (voitures et costumes) et une couleur sépia un peu too much, il faut bien admettre que tous les aspects techniques de ce film sont bien maîtrisés : les plans aériens faisant la part belle à ces paysages dantesques (certaines mauvaises langues diront que Yan Arthus-Bertrand a dû prêter son hélicoptère…), les changements de rythme bluffant permettant au spectateur de rester en alerte constamment et surtout les scènes d’action très surprenantes pour un film européen de cet acabit.

Comme quoi, il y a peut-être un peu d’espoir quand on rêve depuis des années à un cinéma européen capable de faire de l’action sans tomber dans les pires clichés du cinéma de blockbusters. C’est-à-dire sans un découpage épileptique (et oui, au risque de surprendre certains, pas besoin de 150 plans dans une scène d’action pour comprendre que ça va vite…), sans mouvements de caméras inutiles et, surtout, avec un sens du rythme et du positionnement dans l’espace de ses personnages que ne renierait pas ce bon John McTiernan.

Alors oui, on pense bien sûr à True Detective, pour les paysages et les crimes dépeints, mais également à Memories of a Murder de Bong-Joon-Ho (pour les mêmes raisons), dont le réalisateur est, semble-t-il, un grand fan. Il est vrai qu’on retrouve beaucoup de ce film coréen dans La Isla mínima : les rizières, bien sûr, mais aussi la société inégalitaire et pauvre dépeinte, ainsi que la manière dont les crimes influent sur la psychologie des enquêteurs.

Donc, pour la découverte de ce territoire magnifique, ses aspects techniques quasiment parfaits et aussi pour sa peinture d’une Andalousie post-franquiste peu connue à l’étranger, nous ne pouvons que vous inciter à aller voir ce très bon thriller de Alberto Rodríguez.

13
note globale
Noodles

Fan de cinéma depuis longtemps, je partage mes opinions avec vous. N'hésitez pas à me donner votre avis sur mes critiques. Sur Twitter je suis Noodles, celui qui tombe systématiquement dans le piège des débats relous.

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