Le Festival Lumière 2015 a été lancé à la Halle Tony Garnier, comme tous les ans, dans une ambiance assez improbable mêlant les Stones (hommage au Prix Lumière Martin Scorsese oblige), petit point plus que dispensable sur l’Euro de football 2016 et quelques moments savoureux. La film surprise n’a été révélé que quelques minutes avant sa projection : il s’agit de La Fin du jour de Julien Duvivier, un film sorti en 1939 avec deux géants du cinéma français : Louis Jouvet et Michel Simon. Petit bilan de la soirée et critique du film.
L’arrivées de guests très disparates est également toujours un moment clé de la soirée. Comme je le rappelais hier sur Twitter, le carré VIP est resté vide très longtemps, tandis que nous-autres attendions l’arrivée des stars pendant plusieurs minutes (mais il faut reconnaître que l’organisation était au top et cela s’est très bien passé) : les stars donc, de Jacques Audiard à Nicolas Winding Refn, le Mauritanien Abderrahmane Sissako, l’Italien Dario Argento et sa fille, en passant par les lyonnais Laurent Gerra, Jean-Michel Aulas (une entrée mi-figue mi-raisin comme ses joueurs en ce moment, il faut croire qu’il n’y avait pas que des lyonnais dans la salle…) et Bernard Pivot (?) ont fait bonne impression. Mais, c’est surtout l’arrivée de 2 grands bonhommes du cinéma français qui a été applaudie debout pendant de longues minutes par l’ensemble du public : Jean-Paul Belmondo, puis Vincent Lindon, l’invité d’honneur de la soirée.
Sur un plan plus émotionnel, il faut reconnaître que l’arrivée très émouvante de Jean-Paul Belmondo sur la musique du Professionnel a été très forte. Le légendaire acteur était accompagné de son fils Paul qui lui a consacré un documentaire, projeté le lendemain.
L’autre moment fort de cette soirée a été sans conteste la séance improvisée sur un petit écran de cinéma de la projection, dans un émouvant cliquetis, du premier film de l’histoire du cinéma, la Sortie des usines Lumière, dont on fête les 120 ans cette année, sur le véritable cinématographe de l’époque. Fort, très fort ce festival…
Enfin, Vincent Lindon a fait l’objet d’un hommage, avec des extraits de ses films. Se disant « très impressionné », l’acteur récompensé d’un prix d’interprétation au dernier festival de Cannes pour La loi du marché de Stéphane Brizé, a déclaré son amour inconditionnel pour Duvivier. « La fin du jour n’est pas mon préféré, mais je l’aime énormément parce qu’il parle de nous, les acteurs », a-t-il lancé. Des acteurs dont le spectateur peut se dire « Tu vois, lui c’est moi », tels que Jean-Paul Belmondo, a-t-il ajouté avec admiration. « Bébel, il a cette empathie avec le public…»

Critique de La Fin du jour
Tout d’abord, précisons que la Fin du jour est un film qui a longtemps été indisponible malgré son impressionnant casting. Cette année, on peut enfin revoir ce film et quelle ne fut pas notre surprise ! Ce film est un objet tellement sombre et drôle à la fois qu’il ne pouvait pas rester plus longtemps dans l’anonymat ! Dès les premières minutes, on se retrouve plongé dans le cinéma français des années trente avec ces dialogues ciselés et cette critique constante des faux-semblants et de la vacuité du simulacre de la comédie humaine. Justement, ici Duvivier s’intéresse aux acteurs et il ne les épargne pas. Ils sont tous, chacun à leur manière, détestables, exécrables, incapables de penser à autre chose qu’à leur image ou à leur gloire passée.
De quoi cela parle ?
Il s’agit d’une sorte de huis-clos improbable se situant dans une sorte de maison de retraite pour acteurs ratés ou n’ayant plus de quoi vivre.
Dans cet établissement de retraite pour vieux comédiens émergent trois fortes personnalités : Saint-Clair (Louis Jouvet, absolument génial et effrayant), vieux beau couvert autrefois de succès et de femmes, Marny (Victor Francen génial), talentueux acteur que le public n’a jamais reconnu et Cabrissade (Michel Simon qui fait du Michel Simon, c’est-à-dire du très grand), boute-en-train n’ayant joué que les doublures dans sa carrière.
Dans ce portrait cruel d’une mini-société résumant à elle-seule la folie humaine, tout n’est pourtant pas à jeter : ces comédiens sont touchants et ne demandent qu’à être aimés. Ceci étant, ce film n’est pas une fable sympathique. La violence, la noirceur et le jusqu’au-boutisme de la fin sont peu coutumières des film de Duvivier, un certain écho de ce qui se trame en Europe en 1939 ?
En résumé, un film exceptionnel qui n’a pas du tout vieilli et qui peut plaire aux plus jeunes tant il décrit avec une verve et un talent d’écriture immense une société décomplexée par son propre amour d’elle-même. Un film rare, fort et très drôle.