Critique de Julieta de Pedro Almodóvar.
Etre crevé, aller au bureau, y déployer l’énergie d’une flaque d’eau, se dire qu’on ferait bien, pour garder le peu de crédibilité qu’il nous reste, de se bouger, ne pas le faire, se le redire, le faire, voir Thom Yorke transporter Fourvière, aller au cinéma, penser à elle, attendre son retour, avec ce mélange d’impatience et d’anxiété qui n’appartient qu’aux grands angoissés, voir Julieta, réfléchir à la critique, galérer, se jeter à l’eau, apprendre, au moment, de la taper, que quarante-neuf personnes sont mortes pour avoir commis le crime d’être trans ou homosexuelles.
Etre en colère, un peu en vain. Pleurs et rage, comme le disait François Morel. Pleurs et rage.
Sans transition, la critique. De toute façon je n’en ai pas.
Julieta s’ouvre sur une illustration type de l’esthétique d’Almodóvar : un plan fixe sur une étoffe rouge, comme un rideau de théâtre, couleur du sang, de la passion et du désir, aux plis sexués qui évoquent les photos forales de Nobuyoshi Araki, à la dimension érotique évidente. Sans doute une des convocations charnelles les plus fortes d’un film qui ne place par ailleurs pas la sensualité en son centre.
Visuellement très réussi, Julieta le doit en grande partie au jeu des couleurs, finement assemblées et dont l’utilisation, splendide, lui confère une grande cohérence esthétique et contribue à donner au récit un caractère intemporel, qu’accentue l’absence quasi-totale de référence technologique.
La mise en scène, en outre, est d’une grande qualité. Si les mouvements de caméra, peu nombreux, ne sont pas des plus maîtrisés, l’utilisation des espaces intérieurs, le plus souvent en plans fixes, est en revanche très bien pensée et aboutie, mettant parfaitement en exergue les relations entre les personnages et leur état d’esprit.
Ce dispositif, en outre, est en totale harmonie avec la sobriété qu’Almodóvar entend donner au ton du film, dont le sujet ne se prête guère à l’hystérie. Loin de l’ambiance des Amants Passagers, Julieta est en effet une histoire d’absences. Celles d’une fille, à laquelle est destinée le récit, et celle d’une mère, physiquement présente mais inexistante dans son rôle. Une des grandes idées du film est d’ailleurs de la faire incarner par deux actrices différentes de 20 ans d’écart, Adriana Ugarte et Emma Suárez, pour symboliser l’abattement qui affecte Julieta jusqu’à en marquer la chair. Très bonne, leur prestation démontre encore une fois le talent de direction d’actrices de Pedro Almodóvar et sa capacité à mettre les femmes au centre de son travail.
Paradoxalement, la principale limite du film tient à son originalité dans l’œuvre d’Almodóvar. Il s’agit en effet sans doute, plus encore que La piel que habito, Hable con ella et La mala educación, de son film le plus sobre, au point que l’émotion peine parfois à atteindre le spectateur. Pour autant Julieta continue à interroger longtemps après la projection, signe qu’au final, il touche.