Un jour dans la vie de Billy Lynn est le premier film de Ang Lee depuis L’Odyssée de Pi. Adaptation du roman à succès Billy Lynn’s Long Halftime Walk (2012), ce film ambitieux devient un classique instantané du cinéma américain. Critique.
Deux points pour comprendre ce films :
Jamais on n’avait filmé cette Amérique-là avec un regard aussi perçant. Force du regard, Ang Lee filme le Texas comme une contrée aussi exotique que l’Irak.
Un jour dans la vie de Billy Lynn n’est pas un film de guerre, c’est un film sur les hommes. Génie du paradoxe : la scène de bravoure du film de guerre classique est remplacée par un show kitch à l’Américaine.
Dear Soldier
Les films américains sur la guerre sont souvent très pertinents, notamment lorsqu’ils s’intéressent, non pas au théâtre de guerre lui-même, mais à ses conséquences sur ceux qui la font. La portée universaliste de ces films a toujours eu un impact fort sur la cinéphile mondiale, avec comme modèle indépassable Dear Hunter (Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino).
Dans Un jour dans la vie de Billy Lynn, Ang Lee reprend en quelque sorte le flambeau pour s’intéresser au retour mouvementé dans son Texas natal d’un jeune soldat envoyé sur le terrain de guerre irakien.
Sujet maintes fois rebattu me direz-vous ? Pas du tout et ce pour une bonne raison : le film interroge la manière de filmer ce décalage s’opérant entre les soldats et le reste de la population. Dans les années 1970, les vétérans du Vietnam ont été décrits comme des outsiders complètement déconnectés du monde qui les entourait. Comme si le fait que la société avait continué d’évolué sans eux alors qu’ils risquaient leur peau pour une cause anachronique les condamnait à vivre comme des parias. Si Hal Ashby est allé jusqu’au bout de ce décalage dans Le Retour en filmant la cruauté du triangle amoureux, il n’y a que Scorsese qui a réellement tenté de mettre en scène ce qu’il se passe dans la tête des soldats. Ce décalage sensoriel, ce trouble psychologique et mental a été magnifié par une mise en scène faite de contrepoints dans Taxi Driver. Hormis ce film et quelques autres comme Rambo, la plupart des réalisateurs ne se sont pas attachés à rendre palpable le trouble des vétérans par la mise en scène, mais plutôt par les dialogues.
C’est là où le génie de Un jour dans la vie de Billy Lynn intervient. De mémoire, jamais fond et forme n’avait été poussés aussi loin pour un résultat aussi bluffant.
Billy Lynn, jeune Texan post-adolescent encore puceau (joué par le génial Joe Alwyn dont c’est la première apparition à l’écran !) retourne dans son Texas natal car une tournée promotionnelle est organisée par l’armée.
Pourquoi cette tournée ? C’est par la force des choses serait-on tenté de dire. Ou plutôt, par la force d’un événement s’étant déroulé lors d’une mission sous le commandement du sergent Dime (excellent Garrett Hedlund). En effet, pendant cette mission, les choses tournent mal et Billy doit porter secours à l’un de ses compagnons, allant même jusqu’à se battre au corps à corps avec un soldat irakien, chose peu habituelle dans la guerre dite « moderne »…
Dès lors, ce dernier est célébré en héros et sa compagnie, la « section Bravo », devient une attraction dans tout le pays.
Mais en fait, cette expérience a terriblement traumatisé le jeune soldat et le retour au pays sera vécu comme une plongée en apnée dans une réalité trop brutale pour lui et ses coéquipiers. Billy finit par replonger (car c’est vraiment le mot) dans ses souvenirs d’Irak, car pour lui, ses actes n’ont rien eu d’héroïque.
Si, comme l’a bien montré American Sniper de Eastwood, la plupart des soldats passent une période de décompression nécessaire dans une base de l’armée avant de retourner au pays, ici la section Bravo est directement jetée dans la fosse aux lions. Ils font littéralement la tournée des stades de football rencontrant leurs « fans » et signant des autographes comme des pop stars qu’ils ne sont pas.
Pendant cette tournée qui marque également le retour temporaire de Billy dans son foyer, l’armée décide de mettre le paquet se servant de ce nouvel attrait pour Lynn pour promouvoir l’héroïsme de ses soldats. Ces derniers devenant des slogans publicitaires dont les enjeux finissent par les dépasser.
Mais, toute cette agitation ne fait qu’augmenter le stress de Billy qui semble subir un syndrome post-traumatique que seule sa soeur Kathryn (Kristen Stewart) a identifié.
Le choc du réel
Vivre cette expérience de retour au pays, qui plus est près de chez lui, a quelque de chose d’irréel.
Cette dichotomie entre le théâtre de la guerre et le monde réel, ou plutôt sur-réel est d’une violence extrême.
C’est pour cela que Ang Lee a choisi d’illustrer ce trouble sensoriel en utilisant les procédés de captation de l’image les plus en pointe du moment. Ainsi, il utilise une caméra permettant une prise de vue à 120 images par seconde, le tout en 4K et 3D !
Le résultat doit certainement être impressionnant tant cette sensation d’ultra-réalisme, ce trouble sensoriel évoqué plus tôt, permet sans doute d’illustrer sans emphase ce que les soldats perçoivent. D’autant que, comme nous l’avions vu lors de la sortie du Hobbit, la sensation d’ultra-réalisme peut être dérangeante tant nos yeux se sont habitués au 24 images par seconde qui demeure, plusieurs décennies après, encore et toujours la norme au cinéma. J’en profite pour rappeler que cette norme est totalement arbitraire puisque l’oeil humain peut s’habituer à voir plusieurs centaines d’images par seconde. D’ailleurs, ce n’est pas l’oeil qui doit s’habituer mais le cerveau et cet effort peut donner lieu à une sensation de gêne et de trouble physique qui sont justement les effets recherchés par Ang Lee. Coïncidence ? Certainement pas.
Et c’est là où on se dit que la vie est vraiment mal faite : on ne verra certainement jamais ce film au cinéma. En effet, au moment de sa sortie, très peu de salles dans le monde sont capables de projeter le film dans ce format voulu par le réalisateur, mais divers compromis sont possibles pour conserver cette cadence d’image exceptionnelle : passage en 2K ou en 2D, par exemple. La plupart des salles françaises ont fait ce choix-là pour compenser la perte.
Un jour dans la vie de Billy Lynn parvient à maintenir cette sensation de gênes extrême pendant toute la durée du film tout en parvenant à distiller des points de vues très pertinents et piquants sur la société américaine. Loin du film de propagande tel que les bandes annonces pouvaient le laisser croire, ce film apporte des points de vue pertinents, profonds et renouvelés sur le monde qui nous entoure. Autant les partisans de la guerre que leurs opposants trouveront dans ce film de quoi les satisfaire, car ce n’est pas tant le fait d’imposer un point de vue qui intéresse Ang Lee, mais plutôt de faire partager la sensation que si tout le monde prenait le temps de se comprendre cela irait peut-être un peu moins mal…