« Joker » est un film de Todd Phillips sorti en France le 9 octobre. Avec Joaquin Phoenix, Robert De Niro, Frances Conroy…
Souvenez-vous.
Les films DC Comics, face à la déferlante MCU, paniquent et s’enlisent dans un « cinéma » aussi edulcoré que mauvais. Mais souvenez-vous avant cela…Les années 80…Le Superman de Richard Donner, les Batman de Tim Burton…Souvenez-vous mieux…Le Joker de Tim Burton…ça y est, on se rappelle, DC Comics n’a pas produit que d’horribles bouses. Bien, remontons encore plus loin, quand les films étaient encore des bandes dessinées. Méchant parmi les méchants, le Joker a toujours été un des plus fascinants de la bande à DC. BD, ciné, dessins animés, jeux vidéos, aussi fascinant que son nemesis Batman. Sacrée bonne idée de lui consacrer un film à part entière, totalement en marge des affreux Justice League et autre prochain reboot de Suicide Squad. De bandes annonces en festivals et en rumeurs (interdictions de plus en plus folles dans les salles de ciné US, peur de fusillades), utilisant le tremplin des bides de super-héros pour s’en détacher totalement, la clameur monte, et l’envie aussi, de connaître enfin les (ou tout du moins, une) origines du Joker. Après un « opening week end » du feu de dieu aux Etats-Unis, le film sort le 9 octobre en France, et tout le monde se rue dans les salles de cinéma. « Ouais c’est hyper bien », « c’est dur mais c’est super », « c’est triste et c’est violent », « pas ouf mais Phoenix est super », « ça va te plaire ». Bon ok, je me suis déjà refusée à aller voir « Once upon a time (dans l’égo de Tarantino) » et il faut bien avouer que je suis curieuse. Deux semaines après la sortie, il est temps, LE passage obligé de 2019 : j’ai vu Joker.
Garantie avec spoilers (on est comme ça sur Doc Ciné).
Bref pitch pour ceux du fond : Arthur, la quarantaine bien tapée (mais avec le ressenti émotionnel d’un ado de 15 ans), vit chez Maman à Gotham City. Arthur possède un trouble mental qui le fait rire en situation de stress, provoquant un malaise sans nom chez son interlocuteur. Arthur veut faire du stand-up, faire rire les gens, sauf qu’il n’a aucun humour. Arthur en a marre que les gens soient méchants, alors Arthur va péter un câble…
Le fond
D’une part, si Arthur trouve que la vie est si dure à Gotham où les gens sont pas gentils avec lui, il suffisait de déménager à Smallville.
FIN
Pardon. Un peu de sérieux, que diable !
La grande force du film est d’ancrer dans la réalité un personnage que l’on sait fictionnel, un personnage de comics. Le film repose entièrement là dessus et ce constat effrayant : Arthur pourrait exister, voire même existe dans la vraie vie. Arthur, ça peut être n’importe qui. Un mec de NY un peu paumé à qui on prête un flingue, un mec qui cherche à se défendre jusqu’à ne plus pouvoir distinguer le bien du mal, un mec qui finit par se faire justice tout seul dans un monde où tout le monde l’a laissé tomber…Oh wait…En fait, Arthur existe déjà. Pas de surprise alors à ce que les autorités américaines craignent les débordements lorsque le film sort : Arthur, c’est le potentiel dark de chaque américain moyen.
Etant particulièrement sensible à la violence au cinéma, j’ai demandé ce qu’il en était aux copains. On m’a dit que c’était pas facile, violent, psychologique. Pourtant, il n’y a « que » 3 scènes de violence, dans un film qui parle d’un méchant de bande-dessinée, rappelons-le. Or, peu de choses nous rappellent le côté Comics : oui on est à Gotham, oui on y évoque Bruce Wayne, mais assez subtilement pour ne plus savoir si on regarde une totale fiction ou un épisode de Mindhunter. Ce qui semble ressortir le plus après la projection, c’est le « choc ».
Sur le fond pourtant, Joker lance un signal d’alarme qui semble dire « si tu continues d’être un gros connard avec ton prochain, ne viens pas te plaindre qu’il te dire une balle dans le dos ». A travers les codes de la société américaine, Todd Phillips tente d’élever son film au rang de satire visuelle et de signal d’alarme : clowns et bonne humeur obligatoire, nécessité d’entrer dans les cases pour être apprécié, culte du talk-show et de l’Humour, facilité d’accès aux armes à feu…
Plus Arthur brise ces codes, plus il prend confiance en lui. Après tout, être un mauvais garçon lui apporte la reconnaissance tant recherchée. Adulé, reconnu, suivi et apprécié une fois qu’il décide de sortir du rang, Arthur devient l’emblème des laissés-pour-compte.
La forme
Habitué à la réalisation de comédies (les « Very Bad Trip », « Date Limite », qui sont au demeurant de bonnes comédies), Todd Phillips singe plutôt qu’innove. On retrouve dans son « Joker » la contestation populaire du « Dark Night Rises » de Nolan, la photo un peu sale et jauni d’un Fight Club de Fincher, et surtout, la trame scénaristique d’une « Valse des pantins » de Scorsese.
Attardons nous un peu sur ce film, »The King Of Comedy » (ou « La Valse des Pantins » en VF) de Martin Scorsese sorti en 1983 dans lequel on retrouve Robert De Niro dans le rôle de Rupert Pupkin. Rupert a la trentaine bien tapée et vit avec sa mère. Fan de l’animateur de talk-show Jerry Langford (Jerry Lewis), il décide de le kidnapper pour lui soumettre ses meilleurs blagues de stand-up et enfin, recevoir la reconnaissance qu’il mérite en passant à la télévision. Au delà du pitch qui fait tout de même sacrément penser à la toile de fond de « Joker », d’autres similitudes surgissent : tout comme dans « Joker », Rupert imagine les scènes où Langford le considère comme un ami. Rupert rêve aussi sa vie. Tout comme quand Joker passe à la TV, De Niro en fait des caisses. Les deux jeux d’acteur en sont d’ailleurs troublants de ressemblance. Rupert et Joker finissent tous deux par réussir à passer à la télé et à obtenir, de deux façons différentes, la reconnaissance voulue. Tous deux sont costumés de rouge. Tous deux sont en colère face à la méchanceté des gens. Tous deux sont pourchassés de la même manière, Rupert par les flics, Arthur par les infirmiers. Même instant vérité en direct live : « Oui j’ai kidnappé Langford » / « Oui j’ai tué les 3 mecs dans le métro ». Beaucoup de similitudes qui amènent à se demander où commence l’hommage et où se termine le plagiat. Une similitude d’autant plus ironique au moment où Scorsese dénigre les films de super-héros alors qu’il est à la base même de la trame scénaristique de cette « origin story ».
Autre ironie : le public qui se précipite en masse dans les escaliers du Bronx pour se faire prendre en photo déguisé en « Joker » (donc en désaxé meurtrier, je le rappelle), non pas dans une réflexion anarchiste mais pour amasser le maximum de likes sur les réseaux sociaux. Un engouement parfaitement à l’opposé du message du film et une adulation somme toute un peu gênante. Si Todd Phillips voulait faire passer un message à la société américaine et instaurer un peu de réflexion, force est de constater que c’est un échec de ce côté-là.
En conclusion, Joker est une origin story plutôt réussie car ancrée dans une certaine réalité logique. Bien qu’offrant peu d’intérêt au niveau de la réalisation, le film trouve sa valeur à travers l’interprétation parfaite de Joaquin Phoenix. Cependant, « Joker » reste un film qui n’est clairement pas à la hauteur de l’engouement qu’il suscite, engouement principalement basé sur de mauvaises raisons et réutilisé par le public pour une imagerie relativement malsaine, et dont le message, pourtant primordial, a été galvaudé, enlevant encore un peu plus d’espoir en l’espèce humaine. Enfin, un film destiné à devenir son propre cliché et sa propre parodie dans les prochaines semaines si l’on y fait pas attention.