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Jackie de Pablo Larrain – Critique

By 31 janvier 2017mars 12th, 2017Critiques
jackie

Derrière les regards caméras et le biopic conventionnel, un travail d’une richesse insoupçonnée.

De films en films, Pablo Larrain trace son sillon, examinant notre histoire contemporaine et ses figures iconiques. Pinochet, Neruda, Jackie Kennedy. Mais ces portraits, s’ils épousent la forme du biopic, cachent derrière les apparences conventionnelles du genre, une mine d’or. Pas d’hagiographie mais un regard critique pour un jeune cinéaste (40 ans) qui se définit comme un homme de droite (et on se souvient de Gael Garcia Bernal dans « No », voilà ce que pourrait être Larrain : un homme critique avec une conscience politique forte, qui n’aime pas les bons sentiments mais pas prêt pour autant à tendre la joue à la dictature).

Donc quand ce jeune chilien ambitieux se frotte aux Kennedy, nous, eh bien on se frotte les mains parce que la rencontre promet. « Jackie » est peut-être avant tout un film de deuil. C’est le premier aspect, le plus évident et émouvant. Un film « post-mortem » pour reprendre le titre d’un long-métrage étouffant de Larrain qui avait lieu dans une morgue. Le monde vient de s’écrouler devant nos yeux ébahis. Natalie Portman, du sang sur son tailleur Chanel, regarde l’objectif de la caméra, avec cet air halluciné qu’avait déjà Tom Hanks dans « Sully ». Des « héros » d’une l’Amérique malade.

Le travail de Larrain, on le connaît maintenant, consiste à infuser de la vie dans ces figures historiques, tellement discutées et médiatisées, tellement célèbres qu’elles sont devenues des abstractions. Jackie Kennedy, depuis qu’on l’a vue se précipiter pour ramasser les éclats de la cervelle de son mari et les remettre en place en mondovision n’est plus qu’un cliché, un arrêt sur image. Larrain la met en scène dans les heures et les jours suivant le drame, bien vivante, avec ses inquiétudes, ses délires parfois, sa force de caractère, son envie de « réussir » les funérailles de son mari président. C’est une jeune femme ordinaire (et la première dame du pays) mais Larrain se distingue pourtant à sa manière de Sofia Coppola. Son projet ne se limite pas à chercher la femme derrière l’icône (comme par exemple dans « Marie-Antoinette ») mais aussi à travailler sur la matière même du film et poser des questions cinématographiques plus profondes.

Dans « No », Larrain avait sous la main des archives épatantes, ces campagnes de publicités pour le non au référendum chilien et il avait vieilli son film à dessein pour d’autant mieux intégrer ces vidéos essentielles. On avait pu critiquer ce choix. Ici la perspective est inversée. L’assassinat de JFK est un des événements les plus connus du siècle, les plus vus (via le film de Zapruder) et les plus discutés. L’authenticité des images étant constamment en question, on a pu douter des conclusions apportées par la commission Warren chargée d’enquêter à partir de ces images censées contenir « la vérité ». La belle idée de « Jackie » c’est donc d’inclure d’entrée de fausses archives où l’on voit, dans un noir et blanc daté, Natalie Portman (et non pas Jackie Kennedy) déambuler dans les couloirs de la maison blanche. L’image d’archive se mêle en trichant à l’image de fiction. Ces deux images se superposent aussi à nos propres images, celles de l’imaginaire collectif.

La manipulation de l’image devient alors la clé de cet objet hybride qui ose un plan absolument bouleversant, un travelling grandiose, où le visage de Natalie Portman apparaît dans une auto avec en surimpression la foule de 1963 venue assister au funérailles et espérant apercevoir le corbillard. C’est le mariage du vrai et du faux, la symbiose de deux époques que nous offre le film, faisant apparaître l’archive, par des collages évidents, comme la greffe. La vraie image, celle d’origine, semble collée, ajoutée artificiellement à l’image de fiction, celle de « Jackie ». Magie éphémère : les rôles se sont inversés. Le faux devient le vrai, Natalie Portman la vraie Kennedy. Dans cette opération, la pureté de l’image et sa véracité ont disparu dans le trucage. La pureté de Jackie, première dame s’est perdue dans le deuil.

Étouffant, mal aimable, le film ne lâche plus sa proie, et pose la question de l’image tout du long, à travers un entretien avec un journaliste qui questionne Jackie Kennedy sur l’héritage, ou disons la pérennité de la présidence de JFK. Quelle image garderons-nous de ces presque trois ans ? Pourquoi avoir tant lutté pour faire cet enterrement digne de Lincoln au péril de sa vie ? Pourquoi avoir exposé ses enfants aux yeux du monde ? Jackie, jusqu’au bout, hantée par une image (par un son vraisemblablement, l’impact des balles sur le crâne) a cherché, contre vents et marées, à offrir une dernière, une autre image. Une cérémonie grandiloquente, peut-être mensongère (à ce sujet Bobby Kennedy apparaît bien critique et demande sous le coup de la colère ce que son frère a réellement accompli, s’il n’est pas mort pour rien).

Cet entretien donné après coup à la presse montre une Jackie à nouveau en pleine possession de ses moyens. Elle s’empresse alors de démonter la plupart des remarques du journaliste sur des épisodes que nous avons vu précédemment d’où l’impression renforcée de mensonge. Les images sont régulièrement contredites. Les apparences ne veulent rien dire, surtout aux positions de pouvoir, surtout dans le cas des Kennedy et d’une femme constamment en représentation.

Étienne

Né en 1982, journaliste de formation. Je vis à l'étranger depuis 2008. J'ai travaillé pour 5 magazines et 2 émissions de télévision. Je cherche obstinément un cinéma à la marge, qui aurait un langage propre. Le cinéma expérimental et l'art contemporain m'attirent particulièrement.

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