It Follows, est un film d’horreur surprenant, car inventif, de David Robert Mitchell. Voici une critique qui vous donnera envie d’avoir peur et d’aller à Détroit.
Le mal vous veut du bien
Jay (excellente Maika Monroe), une ado de 19 ans, vit dans une banlieue de la classe moyenne de Détroit entourée de ses amis, de petits voisins qui l’espionnent quand elle se baigne dans sa piscine et c’est à peu près tout, car ses parents n’apparaissent pas ou peu (jeunesse américaine laissée à l’abandon…).
Elle fait l’admiration de son entourage pour sa gentillesse et sa beauté. Un soir, elle décide de passer le cap avec son copain d’alors, un jeune homme qu’elle connait à peine. Il s’avère que le jeune en question lui a refilé un mal. Attention, je vous arrête tout de suite, on ne parle pas de la syphilis ou autre joyeuseté transmissible, mais d’un mal qui met des tartes dans la figure et qui éviscère.
Par la suite, Jay est victime de visions inquiétantes. Elle devient la proie de « fantômes » menaçants et invisibles pour les autres, qui se mettent à la suivre inlassablement. Bientôt, Jay découvre qu’elle est, avec une poignée de teenagers, la victime d’une malédiction contagieuse et d’un virus mortel qui se transmet par l’acte sexuel ! Pour s’en défaire, il n’y a qu’une solution : faire l’amour avec un nouveau partenaire.
Dit comme cela, on pourrait avoir envie d’en rire et de jeter ce film dans la pile des teen movies, mais non, ce film est dérangeant, inventif et très très très réussi sur le plan artistique.
It Follows, le sexe punit, le sexe sauve
Tout d’abord, oui, It Follows traite de sexualité. La sexualité qui corrompt, la sexualité puritaine de l’Amérique bien pensante d’un côté, face à la sexualité assumée, celle qui libère.
L’unique chance de salut de Jay est de transmettre le mal, comme s’il s’agissait d’une monstrueuse maladie vénérienne. On pourrait basculer dans une critique bien pensante et très WASP de la vie sexuelle des jeunes américains, beaucoup de journalistes français sont tombés dans le panneau. Mais stop. Arrêtons-nous un instant : Jay est sensée faire l’amour pour sauver sa peau ! Certes, ce n’est pas bien, car elle refile le mal à quelqu’un d’autre et elle ne fait que repousser le danger (oui, la chose retrouverait sa route en cas de décès du nouveau contaminé), mais en même temps elle n’a pas le choix : elle doit baiser. Les pulsions sexuelles sont à la fois libératrices et la cause de notre mort, car tout a une fin dans la vie.
Donc, premier bravo au réalisateur qui a su renouveler, de façon très imagée, le traitement classique de la sexualité : entre Éros (amour) et Thanatos (mort).

Tout est une question de cadrage
Dès la séquence d’introduction, on se retrouve plongé dans un quartier de banlieue typique de l’Amérique des classes moyennes. Tout devrait inspirer la sécurité et pourtant la musique sous influence John Carpenter commence à opérer son travail de sape.
Un travelling en Cinémascope plus tard, on sombre dans l’incompréhension totale : le mal n’est pas visible, mais il semble bien là. Contrairement à Halloween du même John Carpenter, l’affrontement ne se fait pas dans l’intérieur confortable du foyer, mais à l’extérieur. La fuite est le leitmotiv du film. La résolution du conflit se passera (presque) toujours loin du foyer. Le mal étant lent, très lent même (comme Michael Myers…), les protagonistes ont le temps de fuir, de s’organiser et, pour les plus courageux, de préparer la riposte.
La grande réussite du film réside là. J’ai même envie de parler d’idée géniale. La peur est lancinante mais teintée de fatalité. Le monstre est là. Il ne rôde pas, car il vient indéfectiblement vers la victime. Celle-ci est condamnée à attendre son bourreau. Ce qui donne des scènes grandioses où le cadrage au grand angle de David Robert Mitchell magnifie le regard apeuré de la « proie » : d’abord simple détail dans un paysage familier, un point étrange finit par prendre de l’importance et focaliser l’attention du personnage principal. Ce point étrange se meut lentement, tendu vers son objectif, dans un paysage familier du quotidien de la victime : la cour de son lycée, sa maison, la plage… Tous ces territoires, à priori safe, basculent d’une seconde à l’autre dans l’horreur la plus total, car la plus imprévisible.
Ainsi, les plans séquence absolument ébouriffants deviennent l’enjeu de la découverte du monstre traversant le quotidien de la victime. À coup de « où est Charlie » et de traveling circulaires, l’attente sera accentuée par une musique synthétique appuyant là où ça fait mal. La terreur, d’abord suggérée, puis ce petit détail dérangeant, de plus en plus anormal dans le plan, finira inlassablement par éclabousser et balayer la banalité charmante du cadre de vie quotidien de l’héroïne.
Qualités :
Cadrages / Mouvements de caméra / Bande-son / Mise en scène subtile / Décors naturels sublime de Détroit
Défauts :
Final un peu raté / Quelques incohérences (le vieux tout nu sur le toit ?)
“I grew up in Michigan. I went to college in Detroit. My family is there ; it’s like home to me. I wrote the story to take place there. I know what it looks like, I have ideas in mind for where things would be. And the separation between the city and the suburbs is important to me, and that’s very much an issue in the Detroit area.”
David Robert Mitchell
Hors-champ / contrechamp
On pense évidemment à Jacques Tourneur en voyant It Follows, notamment pour La Féline et Rendez-vous avec la peur, dans lequel des personnes sont pourchassées par une entité mystérieuse. Le talent de Tourneur était dans la suggestion : on ne voyait pas grand chose, car tout se passait hors-champ, ce qui, à mon sens, est souvent beaucoup plus effrayant.
Dans It Follows, c’est également le cas. Bien sûr, le jeune réalisateur souscrit à la plupart des gimmicks du moment pour répondre à un cahier des charges à minima, mais là où le film parvient réellement à ses fins, c’est lorsqu’il parvient à nous surprendre par ses hors-champs.
Encore plus fort, il atteint un degré supérieur d’effroi grâce à ce que l’on évoquait précédemment avec sa maîtrise du contrechamp. Vous aussi, quand vous verrez le film (car vous y irez !) vous vous surprendrez à scruter l’écran pour voir si une de ces apparitions ne serait pas en train d’arriver à pas très, très lents. Belle réussite et, à moins que je ne me trompe, une première au cinéma.
Enfin, je conclurais cette critique en évoquant l’atmosphère du film qui est proche de Virgin Suicides, pour son côté éthéré. Cet atmosphère est accentuée par le fait que beaucoup d’indices dans It Follows nous font douter de l’époque à laquelle se déroule l’action : les films que regardent les jeunes sont des films d’horreurs des années 1950 (ce qui est rare pour des jeunes américains d’aujourd’hui), il y a beaucoup de vieilles voitures des années 1970-1980, la musique, bien sûr, contribue également à ce décalage. On a parfois l’impression que le film se déroule à une époque indéterminée, un peu hors du temps.
Le décor, enfin, y contribue : Détroit, ville à la fois magnifique et hors du temps, car frappée de plein de fouet par des crises économiques successives (la chute de l’industrie automobile, puis la crise de 2009). Cette ville fantomatique est le décor parfait pour ce film qui se veut hors du temps et, surtout, hors des modes. Mon ami, Maître Gonzo, avec qui j’ai vu le film, m’a d’ailleurs orienté sur cette galerie de photos en ligne tirée de l’ouvrage The Ruins of Detroit (Steidl, 2010) réalisées par Yves Marchand et Romain Meffre : ENJOY !