En 13 épisodes de 5 minutes, Tous Zombies propose une analyse profonde et revigorante du mythe du zombie à travers le monde et notamment sa place dans la pop culture. Car aujourd’hui, les zombies sont partout : cinéma, séries, jeux vidéo et même musique… Comment notre société moderne connecte ces héros de la fiction dans notre réalité ? Et pourquoi aime t-elle tant ces morts-vivants ? Interview du créateur et réalisateur Dimitri Kourtchine.
Réalisée par le journaliste Dimitri Kourtchine, la websérie documentaire consacre chacun des 13 épisodes à un aspect de cette relation particulière qu’entretient notre culture au mythe du zombie. Tour à tour critique sociale d’une société de surconsommation puis reflet de nos angoisses post-apocalyptiques, le zombie, devenu mainstream, fascine autant qu’il effraie.
A travers images d’archives et interviews de spécialistes, en France et aux Etats-Unis, TousZombies tente de décrypter le phénomène. Une large part de la websérie documentaire est également consacrée au célèbre réalisateur et père des zombies, malheureusement disparu récemment, George Romero. Ce dernier a accepté de se livrer à Dimitri Kourtchine, dans une interview passionnante et truffée d’anecdotes, quelques semaines seulement avant sa mort brutale en juillet dernier.
Dimitri Kourtchine a accepté de revenir sur la création de la série. Interview réalisée par Delarge par téléphone.
– D’où vient l’idée de faire un documentaire sur les zombies ? C’est une figure assez ambivalente, présente partout, mais bien souvent dévalué lorsqu’on parle de « culture ». D’ailleurs, quand bien même Arte est une chaine très ouverte, est ce que le projet a été facile à faire accepter ?
Non, pas difficile du tout, l’idée est même venue au départ d’Arte, de Daniel Khamdamov, et de mon producteur, Rémy Reboullet. C’est plutôt eux qui s’intéressent à ces thématiques. Moi je n’y connaissais absolument rien au film de zombie. J’en avais vu aucun. Il y a trois, quatre ans quand on a commencé à parler de ce projet, je ne regardais pas du tout ça, parce que c’est quelque chose qui m’effrayait. Et ça a été une façon pour moi de m’interroger, de m’intéresser au sujet. Ça m’a permit de me poser la question, pourquoi ça m’angoissait autant, pourquoi je ne voulais pas voir de film de zombie. Et du coup j’en ai vu beaucoup. Tous, ce serait impossible, il y a une telle production de films, de livres, de films, etc, que je n’ai pas tout vu, mais j’en ai vu un certain nombre en tout cas. Et toujours avec cette question, pourquoi ça me fait peur, et pourquoi c’est le monstre le plus représenté, le plus présent dans les productions culturelles d’aujourd’huI. Puis au cours du projet il y a eu cette histoire avec Trump (premier épisode), qui a fait passer tout ça à un stade supérieur d’influence, avec cette figure complètement inventée, qui arrive dans le monde réel, là ça devenait très intéressant.
– Pourquoi ce format court et de mini-série ?
Déjà c’est quelque chose qui est dans l’ADN de Arte Creative, ils fonctionnent principalement par ce biais là parce que c’est quelque chose qui colle bien au web, avec des formats plus court. Maintenant j’ai trouvé que ça marchait plutôt bien avec cette thématique là. Ça n’aurait pas été le cas pour d’autres, mais le zombie, c’est ce que disent beaucoup de gens qui travaillent sur cette figure là, on peut finalement en dire à peu près tout ce qu’on a envie, toute les choses qui nous travaillent, on peut les exprimer à travers ce monstre là. Du coup ça se prêtait bien aussi à une façon de le traiter par facettes, et donc par épisodes, plus qu’avec une vraie continuité, qui aurait peut-être provoqué un sentiment de catalogue. Et ça me permet aussi d’avancer dans une forme d’histoire. Finalement cette forme là qui pouvait être problématique collait bien au zombie et à ce qu’on voulait en dire.
– Après cette exploration, est ce que vous avez pu déterminer ce qui vous faisait peur dans le zombie ?
Encore une fois, chacun peut y voir ce qui lui fait peur. Moi c’est une relation tout à fait personnelle à l’angoisse, à la mort. C’est surtout cette vision de la mort, parce qu’aujourd’hui on essaye de l’occulter le plus possible dans notre société, et finalement c’est le retour d’un refoulé. Je ne suis pas fan de film d’horreur, enfin je suis trop client quelque part, parce que ça me fait vraiment trop peur, et ça agit trop sur moi. Ce n’est pas un sentiment que j’aime, l’angoisse. Maintenant ce qui m’intéresse plus, et c’est ce qu’on évoque dans la série, c’est que au delà de se faire peur, c’est quelque chose qui raconte des choses. Au delà de faire peur au spectateur, l’important c’est les interrogations qu’il peut susciter. Un des débuts de film qui m’a angoissé le plus, c’est le début de 28 semaines plus tard. Dans les premières minutes on pose déjà des questions existentielles. Finalement là en l’occurence c’est le zombie mais c’est surtout le danger imminent, terrible, qui arrive, et qu’est ce qu’on fait face à ce danger. Il doit sauver sa femme et peut-être y laisser sa peau, ou fuir et protéger ses enfants. Ce sont des interrogations toute bêtes, qui viennent là face au zombie, mais ça pourrait être aujourd’hui, dans notre monde, ça pourrait être n’importe quoi, un incendie, n’importe quelle catastrophe. Donc qui nous sommes, comment on réagirait, et qu’est ce que ça raconte de nous derrière ?
– Est ce que vous pensez que le zombie est le modèle pop ultime pour penser le monde ? Il regroupe la peur de l’autre avec les aliens, la peur de la fin avec les films catastrophes, etc.
Chaque monstre raconte quelque chose de particulier, le vampire par exemple, sera une métaphore plus sexuelle, érotique. Le loup-garou, ce sera la transformation… chaque monstre évoque des aspects de notre vie, et raconte quelque chose des angoisses de chacun et de notre société. Évidemment le zombie rassemble pleins d’aspects dans un même monstre, il n’est plus vivant, comme le vampire, c’est à la fois c’est une masse, etc, donc effectivement, une figure qui concentre plusieurs peurs.
– Vous finissez sur une note extrêmement négative, ces images de la montée des extrémismes partout dans le monde, la haine de l’autre. On sent bien l’ambivalence face à cette figure du zombie, face ce qu’elle est devenue. Est ce donc un échec selon vous ? Une mauvaise utilisation de sa grammaire ?
Je pense que son rôle, enfin ce qu’il a été pendant très longtemps, a été dévoyé. C’est à dire qu’il est aujourd’hui utilisé à mauvais escient. Ma conclusion est une forme d’ouverture, une proposition qui peut être discutable et les gens qui ont vu la série m’en parlent, certains sont d’accord, d’autres pas. C’est une proposition un peu polémique, mais après avoir vu beaucoup de films de zombie et quand je vois certains reportages télévisés, la façon dont ils sont faits, la façon dont on montre certains groupes sociaux, comme les migrants, ou aussi les jeunes de banlieue, qui sont toujours filmés de loin, en groupe, on ne voit pas leur visage, on ne leur tend pas le micro, donc ils deviennent une espèce de force évidemment menaçante. Alors que si on leur tend le micro, qu’on leur donne la parole, on comprendrait mieux ce qu’ils sont, leurs difficultés, et cette image se briserait d’elle-même. Donc voilà, je pense que ça a été utilisé à mauvais escient effectivement. Pendant les 40 dernières années, le zombie a été chez Roméro, et d’autres bien sûr, chez ceux qui en ont fait une utilisation politique en tout cas (Certains n’en font pas un tel usage, comme Lucio Fulci) une façon de critiquer, une façon de montrer comment on considère ces gens là, les déclassés. Mais leur imagerie a été tellement efficace, qu’elle a été je pense intégrée dans la narration médiatique et dans la façon dont on montre n’importe quel groupe social qui doit faire peur à la société plus installée.
– Quel avenir pour le genre du zombie ?
Encore une fois, je ne me pose pas comme spécialiste, mais j’ai été voir des gens qui connaissent ce sujet par coeur. Moi j’ai un regard de documentariste. C’est toujours très compliqué de faire des prédications, mais je pense quand même qu’on est en train de vivre une fin du cycle zombies. Quand on va voir les gens qui font les zombie walks, qui, il y a quatre, cinq ans, étaient tous comme des fous, il y en avait de plus en plus, les gens étaient hyper heureux d’y aller, l’ambiance n’est plus la même. À Toronto, là où la première avait été organisée, elle est maintenant annulée, le mouvement s’est un peu fatigué de lui même. Et quand j’étais à Lyon, on me disait, ça fait dix, onze ans qu’on organise ça, c’est toujours sympa, mais on en a fait un peu le tour… Le mouvement s’est essoufflé de lui même. Ce qui arrive là au niveau du zombie walk, ça arrive un peu aussi avec The Walking Dead, qui s’essouffle aussi. Donc, il y plusieurs choses comme ça, qui, j’ai l’impression, montrerait qu’on est peut-être arrivés à la fin de la vague zombie. Après c’est comme tout, c’est à dire qu’il va y avoir un creux, mais ça va repartir. Parce que c’est un monstre très efficace, avec lequel on peut dire beaucoup de chose, qu’on peut adapter à plein de choses, et on va pouvoir le réadapter d’une autre façon. Ou alors, c’est ce que me disaient ceux que j’ai rencontrés, les choses plus intéressantes se trouvent ailleurs, comme dans la BD, les romans, ou alors dans les films hors du système comme Le Dernier train pour Busan, que j’ai trouvé super, qui est un vrai film de zombie qui reprend les codes, extrêmement politique, extrêmement bien réalisé, et qui marche très bien. Donc quelque part on vit quand même la fin d’un âge d’or du zombie, mais le genre ne va pas mourrir pour autant, il se réinventera certainement.
Premier épisode :
Vous pouvez découvrir l’intégralité de la série sur la plateforme Arte Creative.